La dernière fois que j’ai vu son visage, c’était ce soir-là. Je ne saurais dire s’il s’agissait d’une vision venant de mon imaginaire ou je ne sais quoi… En tout cas, je doute que ce soit réel. Mais en même temps, je doute aussi que mon cerveau ait été capable de vieillir de douze ans le visage d’un enfant. Je ne saurais peut-être jamais si ce visage était réel ou pas.
Deux semaines sont passées depuis et je n’ai pas cessé d’y songer. Ils me hantent, ces traits. J’ai eu douze ans pour réfléchir à quoi lui dire quand on le retrouverait. Je n’ai jamais perdu espoir, d’ailleurs. Je sais au fond de moi qu’il n’est pas mort. Et maintenant, j’ai besoin de lui dire toutes ces choses que je garde en moi depuis tout ce temps.
- Tu vas plus avoir de dents à force de les serrer comme ça.
Josh me sort de mes pensées. Les mains sur mes épaules, il essaie de me détendre. Mais comment je pourrais me détendre alors que son visage me hante ? Je commence à me dire qu’il a peut-être quitté ce monde.
- Tu penses encore à lui, pas vrai ?
Je peux sentir la peur dans sa voix. Et je le comprends. J’aurais peur, moi aussi, si mon copain ne faisait plus que penser à son ami d’enfance disparu.
Il marque une pause, je lui laisse tout le temps qu’il faut. Dans ce silence, il ne bouge plus. Il hésite. Et en voyant que j’étais bien décidé à ne rien dire, il se lance.
- C’est juste que si ce mec revient un jour dans ta vie, tu vas probablement me laisser tomber. - Pourquoi je le ferais ? Josh, t’as pas confiance en moi ? - Si, c’est pas une question de confiance. - Alors c’est quoi ?
J’avoue que j’ai un peu de mal à comprendre. Je comprends qu’il ait cette peur, mais comment peut-il être aussi sûr de lui ?
- C’est une question d’amour. Tu m’as toujours parlé de lui avec nostalgie, j’ai bien vu cette lueur dans ton regard à chaque fois. Encore maintenant. - Tu es en train d’insinuer que je ne t’aime pas ? - Non, pas du tout. Simplement que l’amour que tu ressens pour moi n’est pas aussi passionné que celui que tu ressens pour lui. - Mais… Comment je pourrais ressentir quoi que ce soit pour une personne que je ne connais pas ? Si ça se trouve, c’est devenu un sale con puant. - Oui, bah, c’est un peu mon dernier espoir.
Josh rit et je le frappe gentiment en un sourire.
- T’es bête.
L’ambiance est un peu plus détendue maintenant. Mais ses paroles me restent en tête. Il pense réellement que je vais le quitter quand je retrouverais Hécate. Je ne sais pas comment lui retirer ça de l’esprit… Et honnêtement, je n’en ai pas la force tout de suite. Alors, je me remets à la cuisine, ce que j’étais en train de faire avant qu’on ait toute cette discussion. Il reste derrière moi, ses mains sur mes épaules.
- Je t’aime, Josh. - Je sais. Je t’aime aussi, Altaïr.
Je souris faiblement. Je suis bien dans mon couple. La chose géniale avec Josh c’est qu’on n’a pas peur de se parler. La communication est si simple avec lui que je ne sais pas si je saurais m’en passer un jour.
Nous sommes tranquilles, l’un mettant la table, l’autre à préparer le repas. Jusqu’à entendre un gros coup sur la porte. Comme si quelqu’un y frappait soudainement, avec panique. Je fronce les sourcils et je me dirige vers la porte pour aller l’ouvrir.
Quand son visage m’apparaît et que mon cerveau comprend enfin, je suis sous le choc. Il est là, devant moi, à se tenir le ventre. Je remarque à peine qu’il saigne, ce n’est pas le plus important pour moi à cet instant. Je suis simplement bouche bée devant lui. Je pourrais lui dire tout ce que j’ai préparé mais rien ne me vient. Je ne pensais pas le retrouver si tôt… Oh, et Josh… Il va être surpris, lui aussi. Il va sûrement paniquer. Non, c’est pas son genre. Il va rester calme et assurer comme d’habitude. Il va tout garder en lui et je vais devoir lui tirer les vers du nez.
- Ah… Salut, Alt. Je savais pas que tu vivais ici, sinon… - Sinon tu serais pas venu et j’aurais jamais su si t’étais vivant ou mort.
Ma langue parle toute seule, je ne la contrôle pas. J’ai peut-être un peu de rancune envers lui, tout compte fait…
- Ouais… Désolé. Euh, est-ce que je peux entrer ? Je suis un peu en danger, là.
Je prends soudainement conscience qu’il est blessé, et les bruits qu’on entend venant des escaliers me fait réaliser ma bêtise. Je me pousse alors pour qu’il rentre et ferme la porte derrière nous. Josh m’interroge du regard et je m’avance vers lui.
- Excuse-moi ? - Euh, laisse tomber. C’était juste une vanne. Viens, je vais te soigner.
Je mène Hécate jusqu’à la salle de bain. Il n’a pas l’air très heureux de cette petite blague mais je peux le comprendre : il arrive chez son ami d’enfance et son petit ami le traite de sale con puant. Ce n’est pas forcément agréable. En même temps… Il le mérite un peu. Il est encore en vie et il ne m’a pas prévenu. Je ne suis pas tellement rancunier d’habitude, mais je retiendrais toujours ce sale coup.
Je le laisse s’asseoir tandis que je sors ma trousse de soins.
- Retire ton t-shirt.
Il s’exécute en grommelant. Je reste silencieux, s’il n’est pas content, il peut toujours partir. Sa blessure n’est pas aussi profonde que je l’aurais cru. Il suffira de le désinfecter et de lui faire quelques points pour guérir. Heureusement que je suis infirmier.
- Alors comme ça, t’es devenu un voyou ? - Pas vraiment. J’ai juste fait un emprunt. Tu sais, vivre dans la rue, c’est assez dur. - Non, je sais pas, non. Faut dire que tu m’as pas donné beaucoup d’infos depuis le temps. - Ça va… Tu vas pas m’en vouloir… Hein, Alty ?
L’utilisation de ce surnom m’agace tant que j’ai peut-être enfoncé l’aiguille un peu trop profondément. Il couine et je ne peux empêcher un sourire satisfait d’orner mes lèvres.
- Et donc, pourquoi tu m’as pas donné de nouvelles ? - Parce que je suis en fuite, t’as pas remarqué ? - En fuite depuis douze ans ? Laisse-moi rire. - Bah ouais, en fuite depuis douze ans. - Mais pourquoi ?
Lorsque les parents d’Hécate sont morts dans cet incendie et que Hécate a disparu, je n’ai même pas pu être près de lui. Voilà qu’il arrive dans ma vie comme un taureau enragé et qu’il me dit qu’il est en fuite. Depuis tout ce temps. J’ai vraiment, vraiment beaucoup de mal à le croire.
- Je préférais qu’on pense que j’ai disparu plutôt qu’on pense que j’ai foutu le feu.
Il évite mon regard. Pendant un instant, j’ai un peu de compassion pour lui. L’enfant de douze ans qu’il était a sincèrement songé qu’il valait mieux disparaître plutôt que de se faire possiblement accuser de quelque chose qu’il n’a pas fait. Et je me sens triste pour ça. Parce qu’il a toujours été innocent et que c’est un peu stupide, aussi. Personne n’aurait pensé à accuser un enfant de douze ans.
- Personne ne l’aurait pensé, Hécate. - Je sais. C’est stupide. Quand je m’en suis rendu compte, il était un peu trop tard. T’imagines, un gamin qui sort de nulle part, comment j’aurais pu expliquer tout ça ? - Eh bien, comme tu viens de le faire, là. Personne ne t’en aurait voulu.
Il secoue la tête sans me répondre. Je peux comprendre sa situation. Mais maintenant, il est grand. Il devrait aussi être en âge de comprendre qu’il peut revenir dans nos vies. Enfin, de toute manière, c’est un peu trop tard pour décider du contraire.
- Bon… Essaie de te nettoyer comme tu peux. Je vais déposer des vêtements devant la porte, pour quand t’auras fini.
Je le laisse tranquille et je rejoins Josh. Il a rajouté un couvert pour notre invité surprise. Josh est vraiment une perle. Malgré toutes ses craintes et ses convictions, il le laisse entrer dans nos vies et reste un hôte parfait.
- T’as pas pu t’en empêcher, hein ? - De quoi ? - Je l’ai entendu couiner d’ici.
Ah… Oui, Hécate n’a pas couiné bien fort mais il l’a fait sur un moment d’égarement de ma part. Enfin, d’égarement… De vengeance, plutôt.
- Je pense que ça a moins blessé son ego que ton « sale con puant ». - Oups ? C’est sorti tout seul.
Josh est parfois incorrigible. Mais on s’amuse bien tous les deux. Il a du caractère, même si parfois, on a la sensation qu’il est lisse. Je vais donc chercher rapidement des vêtements pour Hécate et je les dépose devant la porte close. J’entends l’eau couler, là, derrière. Je suppose qu’il prend son temps pour se laver, et ça vaut mieux.
- T’as pu discuter avec lui alors ? - Mh… Oui, un peu. Pas énormément. Mais je sais maintenant pourquoi il a disparu. - Ah… et alors ? C’est une bonne raison ? - C’est plus compliqué que ça.
Il ne force pas plus. Il sait que je lui en parlerais quand on sera plus tranquilles. Dans notre chambre, ce soir, au coucher par exemple. D’ailleurs, il va falloir que je prépare la chambre d’ami, je suppose que Hécate va rester avec nous pour un moment.
Hécate nous rejoint dans mes fringues, pour le dîner. Il s’installe timidement. Il s’est peut-être retrouvé dans une sale situation à cause de l’argent, mais je sais qui il est au fond : quelqu’un de bien élevé. Et je souris à cette pensée tout en servant nos assiettes.
- Merci de m’accueillir ce soir. C’est gentil. - Y’a pas de quoi. - Oui, et puis tu es blessé et tu as besoin de bien manger et de te reposer. J’irai te préparer la chambre juste après manger. - Euh… Je comptais pas m’éterniser en fait.
Comment ça, il ne compte pas s’éterniser ? Je viens de le retrouver, il va juste profiter du repas et se barrer ?
- Écoute, ça fait nous fait plaisir que tu restes. Encore plus à Altaïr. Reste au moins pour la nuit, histoire de te reposer.
Josh essaie de le convaincre. Je sais qu’il tient juste à me faire plaisir et je l’en remercie en passant ma main sur sa cuisse avec un sourire tendre à son égard. Ce mec est vraiment génial. Je ne sais même pas si je le mérite. Je ne pense pas, en vérité.
- Bon, d’accord. … Merci.
Mon sourire se fait plus grand. Je suis content, je n’ai pas envie que Hécate sorte de ma vie maintenant qu’il y est revenu. J’espère juste au fond de moi qu’il décidera d’y rester. Nous mangeons en silence. Hécate a l’air de se régaler et ça me réchauffe le cœur. Ça fera au moins un argument de plus pour qu’il ne s’en aille pas. Après le repas, je vais lui préparer la chambre d’amis. Tout est prêt, déjà, je prends soin de changer les draps chaque semaine, on ne sait jamais quand la famille de Josh peut passer ni même combien de temps elle peut rester.
- Infirmier, cordon bleu, excellent hôte… Dis donc, t’as tout pour plaire, Alty. - Mh ouais, pas comme toi, petit voyou. - Ça va, j’ai juste emprunté de l’argent à la mauvaise personne. Ça arrive de se tromper… Non ?
Il s’approche et je me redresse après avoir replacé les coussins.
- Oui, mais là, c’est loin d’être une petite erreur. - Peut-être. Mais tu trouves pas ça excitant ? - De quoi ? De te trouver blessé ? Pas vraiment, non. - Non, les bad boys.
Le sourire séducteur d’Hécate ne m’échappe pas. Il se rapproche de moi et je recule d’un pas.
- Hécate… Arrête. J’ai un petit ami, tu sais, Josh. - Ne me fais pas rire. Ce mec arrive à te faire bander ?
Je tombe sur le lit. Je m’appuie sur mes coudes, prêt à le repousser, et comme je le redoute, il vient au-dessus de moi.
- Bien sûr que oui…
Je dois avouer que son odeur est enivrante. Son regard me fait chavirer. Je suis un peu déboussolé…
- Je suis sûr que je peux faire mieux…
Et alors qu’il va commettre l’irréparable, je le repousse. Une fois relevé, je soupire.
- On t’a accueilli tous les deux ici. Tu devrais faire preuve d’un peu de respect. C’est pas la rue.
Secouant la tête, je reprends rapidement mes esprits. Mais alors que je suis sur le point de sortir de la chambre, il me retient par le bras.
- Quoi ? - J’suis désolé. Je me suis laissé emporter. Ça fait longtemps qu’on s’est pas vu. T’es pas le seul à en être perturbé, c’est pour ça que je voulais partir. - Ouais… Bah range ta bite, OK ? Je peux comprendre que tu sois en manque mais j’aime Josh. Je suis bien avec lui.
Quelque chose en moi me hurle que j’aurais pu être bien avec Hécate s’il n’avait pas disparu. Mais je ne dis rien, je retiens cette pensée entre mes dents.
- D’accord, d’accord. C’est promis, elle est rangée et ne sortira pas. - Bien.
Je suis content et même soulagé qu’il comprenne. Et savoir qu’il ne tentera rien.
- Alors… Bonne nuit. - Bonne nuit, Alty.
Je sors en ayant un sourire un peu con sur le visage. Ce surnom m’a toujours fait un peu d’effet. Et aujourd’hui, ça ne diffère pas d’avant.
Josh est déjà dans le lit, prêt à dormir quand j’arrive dans notre chambre. Je passe alors dans la salle de bain pour me préparer puis je me glisse sous les draps.
- Alors, pourquoi il ne t’a pas donné de nouvelles ?
Je soupire, j’ai toujours l’esprit embrumé et le nez plein de l’odeur tentatrice d’Hécate. Son odeur a changé. Il sent bon. Enfin, forcément, il venait de se laver. Mais je parle surtout de son odeur corporelle, en retirant l’odeur du gel douche. Il sent bon et il m’attire indéniablement. Il agit tout de même comme un sale con, mais je me dis qu’il est seulement encore un peu choqué de l’agression qu’il vient de vivre. Tel que je le connais, mon Hécate, il est adorable… Et tellement intelligent. Mais peut-être qu’il a changé, aussi.
- Il a fui pour éviter qu’on l’accuse d’avoir provoqué l’incendie et du coup, d’avoir tué ses parents.
Je me glisse sous les draps près de Josh et je soupire à nouveau. Rien n’est clair dans ma tête… Je le comprends, et en même temps, je lui en veux toujours. D’avoir été absent, alors que j’aurais pu l’aider. Le cacher, s’il le voulait. Le nourrir, prendre soin de lui.
- Ah… Mais il avait douze ans, personne ne l’aurait suspecté. - C’est exactement ce que je lui ai dit. Mais quand il a réalisé son erreur, c’était trop tard. - Non, il n’est jamais trop tard pour retrouver ses amis. - Mh…
Je suis perplexe. Ma journée a déjà été difficile, je pensais que j’allais pouvoir passer une soirée tranquille. Et puis, ce week-end, je suis en repos. Je comptais en profiter un peu. La présence d’Hécate ne me gênera pas, bien au contraire. Mais je ne sais plus quoi penser, ma vie est bouleversée. Hécate veut repartir et je ne veux pas le laisser, même si je lui en veux. Je le comprends, je lui en veux… J’ai besoin de temps pour penser à tout ça. Mais surtout, j’ai besoin de retrouver Hécate.
- Allez, n’y pense plus. Je l’empêcherais de fuir demain matin si jamais il tente de se tirer.
Josh me prend dans ses bras, je me laisse faire, appréciant sa chaleur rassurante et réconfortante. Je ferme les yeux, fatigué, après un doux baiser.
- Oui…
Et sans m’en rendre compte, je m’endors dans les bras de Josh qui me caresse les cheveux, comme j’adore. Beaucoup trop épuisé par ma journée, je passe une nuit reposante, si bien que je ne sens pas Josh quitter le lit, tôt le matin. Quand je me réveille, il est neuf heures du matin. Je remarque que Josh a remplacé son corps par un t-shirt lui appartenant pour que je ne me réveille pas, et le constater me fait sourire. Ah… J’ai beaucoup de chance de l’avoir. Peut-être trop… Je ne lui ai même pas parlé de la tentative d’Hécate de la veille.
En parlant de lui, il se trouve au salon et s’occupe de faire un peu de ménage, visiblement. Je le regarde sans comprendre, moi qui pensais qu’il allait fuir dès que Josh serait parti…
- Hécate… Bonjour. Qu’est-ce que tu fais ? - Ah, bonjour. Je fais un peu de ménage. J’me suis dit que j’allais quand même vous aider, pour vous remercier de votre hospitalité. - Ah… C’est gentil. - Y’a du café chaud si tu veux.
Je hoche la tête pour le remercier et je pars dans la cuisine me servir un café et un jus de fruits. Je suis un peu perplexe par son comportement. Je ne l’ai pas entendu se lever – enfin, je n’ai entendu personne tant mon sommeil était lourd – et je pensais être seul en sortant de la chambre. J’avais pourtant espoir qu’il reste et finalement, il est resté. Pourquoi je ne me sens pas heureux, alors ? Je devrais être content qu’il soit encore là. Malgré tout, je me sens agacé par sa présence. Comme s’il me gênait. Alors que je ne demande que ça, sa présence.
- T’as bien dormi ?
Je sursaute en l’entendant. Je ne m’attendais pas à le voir dans la cuisine et il m’a fait peur. Je soupire alors, un peu plus agacé encore.
- Oui, j’ai bien dormi. Et toi ? - Mh, oui. J’me suis endormi comme une masse quand tu m’as laissé la chambre. J’ai croisé Josh ce matin, d’ailleurs. Il avait pas l’air content…
Il grimace et je l’interroge du regard.
- Comment ça ? - J’en sais rien. J’crois qu’il veut pas que je reste ici. - Mais c’est lui qui te l’a demandé. Il a aucun problème avec ça. - Ouais bah, je sais pas, ce matin il m’a envoyé des regards noirs. Comme s’il m’en voulait d’exister.
Ah, Josh. Il est peut-être un peu jaloux par la présence d’Hécate. Il sait à quel point je tiens à lui, j’imagine qu’il lui en veut un peu d’avoir refait surface comme si de rien n’était. Mais, enfin, je ne comprends pas bien, hier, il avait l’air content qu’il soit là. Et je me suis dit qu’il était content pour moi. Je sais qu’il a peur mais quand même…
- Il était peut-être de mauvaise humeur. Je sais pas, peut-être qu’il a fait des cauchemars. - Ouais, c’est sûrement ça. Dans tous les cas, je vais pas m’éterniser non plus… J’veux pas vous gêner. - Tu nous gênes pas. - Non, à peine. Toi aussi t’es de mauvaise humeur alors ?
Je soupire. Il a raison, on ne lui donne pas vraiment une bonne impression. Je pense qu’il est plus que temps de crever l’abcès. Et de toute manière, ma rancœur déborde tant que je n’arrive plus à la retenir.
- J’suis pas de mauvaise humeur. Mais je comprends pas. Hier ton visage me hantait et je me disais que je te reverrais jamais et aujourd’hui, je te retrouve dans mon salon à faire les poussières comme si t’avais toujours été là. - Oui ben… C’est pareil pour moi, hein. Je voulais juste être gentil. - C’est pas un reproche. Non, en fait, si, ça en est un. T’as jamais voulu me retrouver et voilà que maintenant t’es là. - Mais j’y peux rien si j’ai sonné chez toi. J’aurais pu sonner chez ton voisin ! - Tu aurais dû. - Je savais pas, Altaïr. Et dis pas que j’ai jamais voulu te retrouver. J’ai passé toutes ces années à te regarder de loin pour voir si toi au moins tu vivais bien. Si t’étais heureux.
Ma main est à plat sur la table. Je crois que je l’aurais giflé si j’en avais été capable.
- T’étais là pendant tout ce temps. Je pensais rêver quand je voyais ton visage. T’étais là et t’as même pas pris la peine de venir me dire que t’étais vivant ? - Je préférais que tu penses que j’étais mort plutôt que tu penses que je t’ai abandonné. - Et pourtant c’est ce que t’as fait !
Il secoue la tête, visiblement agacé. Tant mieux, comme ça, on sera deux.
- OK. J’suis désolé. J’aurais pas dû en parler. - Non, t’as bien fait. Ça fait douze ans que j’attends ça, Hécate. - Oui, mais là t’es trop en rogne pour qu’on ait une conversation posée. C’est pas le moment.
Il a raison. Je suis en train de bouillir à l’intérieur et si ça continue, je risque d’exploser. Et même moi, je ne veux pas voir ça. Mon téléphone vibre sur la table et je lis le message de Josh. Il va être occupé toute la journée mais il m’invite à le retrouver à la fête de ce soir, chez Kade et Seth. Je n’ai même pas eu le temps de lui parler d’hier soir… Je vais devoir attendre ce soir et potentiellement gâcher la fête. Hécate part de la pièce pendant que je regarde mon téléphone. Et voilà que je me retrouve seul.
Moi qui voulais me reposer aujourd’hui, j’ai passé ma journée dehors. Je voulais éviter Hécate et ces moments étranges où l’on n’a rien à se dire. Enfin, j’ai tant de choses à lui dire mais je suis tellement en colère contre lui que rien ne veut sortir et je ne peux pas aligner deux mots sans les couper par un reproche. Au moins j’ai pu penser à autre chose et me détendre. Il est dix-neuf heures quand je rentre et je ne le fais pas les mains vides. Dans une démarche amicale, j’ai acheté le repas de ce soir. De la malbouffe, certes, mais c’est réconfortant. Et puis, dans mon souvenir, je sais que Hécate raffole des burgers.
Pourtant, je suis seul à l’appartement. Josh n’est pas là, mais il m’avait prévenu. En revanche… Où est passé Hécate ? Je me mets à avoir peur. Notre discussion matinale l’a peut-être effrayé à tel point qu’il s’est barré… Pour ne jamais revenir. Il n’y a personne dans la chambre et je ne suis qu’à moitié rassuré de voir sa veste sur le lit. Je ne pense pas qu’il l’aurait oublié s’il voulait sortir. Mais peut-être… J’ouvre la porte de la salle de bain et je le trouve en train de patauger dans son bain.
- Euh… Salut ? - Ah, désolé. Je savais pas que t’étais là. - C’est moi. Je voulais profiter de ta baignoire. - T’as bien fait.
On se regarde un moment sans rien dire. J’ouvre enfin la bouche pour parler de ce matin mais il m’arrête en secouant la tête.
- On pourrait discuter. Mais… Je peux finir mon bain avant ?...
Ah, putain. J’avais oublié ce détail. Il est nu, dans son bain, et moi je m’apprêtais à lui taper la discute comme un con. Je sens mon visage chauffer et je ris bêtement.
- Ah, ouais, désolé. J’ai ramené à manger alors… Je t’attends.
Une fois qu’il a hoché la tête, je referme la porte. Je suis vraiment débile, parfois. Je retourne dans le salon pour sortir nos plats. Je navigue quelques instants sur la télé, histoire de mettre quelque chose pour faire passer le temps. Quelques instants plus tard, il revient près de moi, habillé dans mes vêtements.
- Je me suis permis de prendre quelques trucs dans ton armoire… J’ai lavé mes fringues, elles sont en train de sécher. Je te les relaverais après, t’inquiète pas. - Je ne m’inquiète pas. Tu peux les garder, elles te vont bien.
Je le laisse s’installer et je continue de zapper, un peu moins sereinement maintenant qu’il est là. J’entends son ventre grogner, l’odeur de la nourriture me fait envie à moi aussi.
- T’as mangé ce midi ? - Non… Je t’attendais. Et je voulais pas me servir. Mais bref, Alty, faut qu’on reparle de ce matin…
Ah, voilà comment on met les pieds dans le plat. La tension est palpable entre nous, c’est évident. Il veut certainement s’en débarrasser le plus vite possible et c’est aussi ma volonté.
- C’est pas que je voulais pas revenir vers toi Alty… J’avais besoin de me prouver à moi-même que je serais pas un poids pour les autres, même sans mes parents. Et j’en ai encore besoin. Et si je suis pas venu te voir avant, c’est parce que je voulais pas que tu m’aides. Non mais, regarde-toi ! Tu veux tellement aider que t’as fini infirmier. J’me suis pointé chez toi hier soir sans savoir que c’était chez toi, si ça avait été un inconnu tu aurais fait la même chose. Et… Je veux pas de ton aide. Je veux vraiment m’en sortir tout seul. Et crois-moi, ça a été dur aussi pour moi de pas être là pour toi. De pas grandir avec toi. C’est pour ça que je suis resté dans les parages. Ouais… Je t’ai un peu stalké. C’est vrai. Mais j’avais besoin de savoir que t’allais bien. Que tu t’en sortais… Alors j’suis désolé Alty, d’avoir tout fait de travers. Je m’en veux beaucoup. Je sais que j’aurais pu faire les choses autrement. Mais je crois que j’avais besoin de cette maturité que le temps m’a donné pour te revoir.
Il se tait enfin, après sa longue tirade. Je prends le temps de tout digérer. Je comprends sa façon de penser… Mais j’aurais pu être là pour lui autrement. Il en est conscient… Je le sais bien. Comme je sais qu’il s’en veut et qu’il attend ma réaction avec crainte. Honnêtement, je ne me sens plus autant en colère contre lui mais j’ai toujours un peu de rancœur. On a perdu tellement de temps que ça m’agace. Mais ça passera avec le temps, j’imagine.
Finalement, je prends sa main et je lui souris, essayant de le rassurer.
- Tu sais… Pendant ces douze ans, je n’ai fait que réfléchir à ce que je pourrais te dire une fois que tu serais de nouveau face à moi. J’ai même rédigé une lettre que j’ai recommencé plusieurs fois parce que j’avais des choses à rajouter et à retirer. Mais là, rien ne sort… Et j’aurais aimé te dire que je t’en veux pas mais c’est pas encore le cas. Je suppose que j’ai besoin de temps… Mais ça m’a quand même calmé, d’avoir tes explications. Je comprends. Mais… - Je veux pas d’aide… - Je sais. Mais Hetty, tu seras forcément obligé de demander de l’aide à un moment donné. Juste pour trouver un travail, tu ne peux pas te présenter sale et avec les mêmes vêtements…
Il reste bouche bée. Comme s’il ne s’y attendait pas. Et après un petit moment, je me rends compte du surnom que je lui ai donné. Mes joues rougissent, je suis un peu mal à l’aise. C’est sorti d’un naturel tel que je ne m’en suis même pas rendu compte sur le moment.
- Pardon… J’ai pas fait exprès. - T’excuse pas… Si tu savais le nombre de fois où j’ai rêvé de t’entendre prononcer ce surnom…
Il sourit et je suis rassuré. Au moins, ça lui a mis un peu de baume au cœur. Je ne vais pas le détester toute ma vie. Je ne le déteste même pas à cet instant. Je suis plutôt soulagé qu’on ait pu discuter de tout ça.
- Alty… Je sais que je vais avoir besoin d’aide… Mais s’il te plaît… Laisse-moi gérer, d’accord ? - Oui. D’accord. A une seule condition. - Laquelle ? - Tu restes ici. Tu es le bienvenu, je veux pas que tu retournes à la rue. Si tu veux découcher, OK, mais s’il te plaît, ne reste pas à la rue. T’auras qu’à me donner ce que tu veux en échange, comme ça t’auras pas l’impression de profiter, ça m’est égal. J’accepterais.
A vrai dire, je ne veux que ça. Je ne veux pas qu’il coupe les ponts, qu’il retourne dans le froid, dehors, qu’il ne mange pas à sa faim. Et je ne veux surtout pas manquer de ses nouvelles. De cette façon, je m’assure qu’il reste près de moi.
- Et Josh ? Ça va pas le déranger ? - Je vais lui en parler ce soir. On a prévu de se rejoindre à une fête. D’ailleurs je voulais t’inviter ce matin… - Oh. Ben, d’accord. OK. - Pour la fête ? - Euh… Oui, aussi. Mais pour… rester chez toi… Le temps que je trouve du travail et un appartement à moi. - C’est vrai ?! - Ouais… Mais tu m’aides pas, hein ? - Promis !
Je suis si content que je saute dans ses bras pour le serrer contre moi. Je viens de retrouver mon Hetty et ça me fait un bien monstre… Et maintenant que je sais qu’il ne va pas quitter ma vie, plus jamais, je ne peux qu’être joie.
- Eh, doucement. J’ai faim, moi.
Il rit et je me détache finalement. Je lance un bon appétit, et sans me concentrer sur la télé, je mange avec appétit, autant que lui.
Une fois le repas terminé, nous nous sommes préparés. Je lui ai prêté d’autres vêtements. Je l’ai même conseillé sur son style et on a passé un bon moment tous les deux. Le seul truc… C’est que je ne lui ai pas dit qu’on allait chez Kade et que Seth sera forcément là. Je devrais peut-être le prévenir mais la peur qu’il refuse de venir me prend trop aux tripes pour le lui dire. Maintenant qu’on a crevé l’abcès, même si je lui en veux encore un peu, on a passé un bon moment tous les deux. Je me sens plus proche de lui et j’ai l’impression de le redécouvrir dans une version plus évoluée de Hetty-douze-ans.
On arrive alors devant la porte de l’appartement de Kade. Je lui envoie un message pour le prévenir, la musique résonne dans le couloir. Mais Kade a des voisins tellement sympathiques qu’ils ne sont pas regardants sur les fêtes qu’il fait, quand il en fait. Dans un certain réflexe et de crainte qu’il ne s’en aille, je me rapproche physiquement d’Hécate. Puis, Kade nous ouvre et me sourit.
- Alt ! Je pensais que tu viendrais pas. Eh, ça fait une heure qu’on vous attend !
Il me frappe la main et se tourne vers Hécate qui est clairement paniqué.
- Hécate ! Ça fait plaisir de te voir. Ça fait grave longtemps, comment tu vas ? - Euh… Ça va. Je… - Tu ? Tu bégayais pas autant avant !
Je partage un rire nerveux avec Kade. Hécate est clairement mal à l’aise et je le comprends.
- Désolé… Si je t’avais prévenu, tu serais pas venu. - Ouais, c’est clair…
Je vois bien qu’il ne m’en veut pas. Mais je constate aussi qu’il ne sait pas quoi dire. Alors, je prends la parole à sa place.
- Hécate a sonné chez moi hier soir, il était blessé alors je l’ai soigné et on l’héberge pour le moment. - Ah ! On va éviter de te faire danser alors.
Kade est loin d’être du genre rancunier. A vrai dire, c’est toujours lui qui m’a calmé quand Hécate me manquait trop et que j’étais dans une colère noire envers lui. Kade a toujours été le plus sage de nous tous. Le plus mature, celui qui donne les conseils et qui calme les rancœurs.
- Je vais aller chercher à boire. Kade, tu lui fais visiter ? - Oui, sans souci. - Attends, Alt…
Je me tourne vers Hécate. Il n’est clairement pas serein. Je sais qu’il ne veut pas donner d’explications à Kade mais je sais aussi que Kade ne lui en demandera pas. Alors je lui envoie un sourire rassurant et je m’engouffre dans l’appartement. Il n’est pas si petit, mais pas immense non plus. Assez pour accueillir une trentaine de personnes, toutes fêtardes avec un gobelet rouge à la main. Dans le lot, je ne repère pas Josh. Mais Seth est dans la cuisine et il m’appelle dans un sourire timide.
- Hey Seth. Ça va ? - Oui, ça va. Y’a trop de bruit dans le salon. - Ouais, je sais bien. J’ai ramené Hécate. - Hécate ? Tu veux dire Hetty ? - Oui. Hetty. Il est là.
Son regard s’illumine et un doux sourire s’installe.
- Il est où ? - Il discute avec Kade. Je l’ai pas prévenu qu’on venait ici, sinon il serait pas venu. - Ah… Il voulait pas nous revoir ? - Mh… si. Mais il a peur. Il veut pas s’expliquer… C’est compliqué. - Ah.
S’il avait pu ronronner de bonheur, il le ferait certainement à l’heure actuelle. Je me souviens de nos moments jeux de plateau, quand on jouait aux chevaliers et que le rôle du troll tombait toujours sur Hécate. Et Seth jouait toujours le chevalier servant qui le tuait pour sauver le royaume. Mais Seth se rattrapait toujours ensuite par une session câlins, et Hécate le laissait faire pour certaines raisons qui ne nous ont jamais échappées.
- Il va bien ? - Oui, oui. Sinon il serait pas là. - Cool.
Je me sers un verre d’alcool un peu fort. Avec tout ce qui s’est passé ces derniers temps, j’ai vraiment besoin de décompresser. Mais je prends mon temps pour boire, je connais mes limites et je n’ai pas envie de terminer le visage dans la cuvette à vomir mon burger. Hécate et Kade nous rejoignent quelques temps après et je constate qu’Hécate est un peu plus détendu. Et dès lors qu’il s’approche un peu trop de Seth, ce dernier lui saute au cou en riant joyeusement. Je grimace, la blessure d’Hécate est loin d’être guérie et à son expression, il doit souffrir…
- Doucement… - Non ! Tu m’as manqué ! - Je sais, toi aussi, mais tu me fais un peu mal.
Seth s’écarte, soudainement inquiet.
- T’es blessé ? - Un peu. Mais tout va bien, t’inquiète. - Ah ? Alors câlin.
Hécate a un sourire tendre et il le serre contre lui affectueusement. Je souris en voyant ce spectacle touchant, j’aurais pu avoir la larme à l’œil si mon esprit ne cherchait pas sans relâche mon petit copain à travers la foule.
- Kade, tu sais où est Josh ? - Mh… Je crois l’avoir vu partir dans le couloir tout à l’heure.
Je m’élance alors, pressé de retrouver Josh pour tout lui raconter. Je demande aussi à quelques connaissances s’ils l’ont vu et l’information selon laquelle il se trouverait dans une chambre me parvient. Je m’apprête à pousser la porte quand Seth s’interpose.
- Attends… - Quoi ? - Euh… Je t’ai montré mes figurines ? - Les nouvelles ? Pas encore. Mais après, d’accord ? - Non…
Je sens que Seth a un truc à me dire. Il m’angoisse un peu, à vrai dire. J’ai la sensation que ce n’est pas une bonne nouvelle.
- Qu’est-ce qu’il y a ? - Tu devrais attendre un peu avant d’entrer… - Pourquoi ? - Ben… Tu sais… Euh… Il est en train de se changer !
Je vois bien qu’il essaie de me mentir. Seth n’a jamais su mentir.
- Tu sais que je le vois nu tous les jours ? - Oui mais euh… Enfin… Tu devrais attendre. - Seth… Dis-moi. - Je peux pas.
J’imagine le pire, maintenant. Josh est blessé ? Mal en point ? Je commence vraiment à flipper. Si bien que je n’ai même pas remarqué la présence d’Hécate derrière moi.
- Ça suffit.
Il tourne la poignée et finit par ouvrir la porte, impatient.
J’ai peur. Je flippe. Je m’imagine le pire, mais pas comme chacun l’imagine. J’imagine seulement Josh mal en point. Malade… Ou peut-être blessé. Oui, c’est le pire qui puisse arriver pour moi. Mais lorsque Hécate ouvre enfin la porte, rien de ce que j’imagine n’est réel. Non, c’est bien pire encore. Mon cœur s’arrête et s’effrite, une fraction de seconde seulement nécessaire pour le voir se briser en mille morceaux.
Josh me trompe. Josh est en train de baiser une fille. En levrette.
Je n’arrive plus à respirer. Je suis impuissant, je ne fais que regarder la scène horrible qui se déroule sous mes yeux, incapable de bouger. De réagir. Seuls mes yeux réagissent : ils s’emplissent de larmes salées, prouvant ma souffrance. Pourquoi ? Pourquoi il a fait ça ? Je ne lui suffisais plus ? Tout allait bien… Est-ce que tout allait bien entre nous ? Et si ça allait si mal, pourquoi il ne m’a rien dit ? Je vois. Je vois Josh réaliser notre présence. Je le vois surpris, je le vois cesser ses activités. Je le vois se cacher du drap. Et puis je vois Hécate lui foncer dessus. Je le vois lui coller son poing dans la figure. Et j’entends tout le boucan autour de moi. J’entends Seth bouger à côté de moi, crier le nom d’Hécate. Je le vois se jeter sur lui à son tour pour le faire arrêter ses coups. Je vois Josh et Hécate se battre. Mais mon corps ne répond pas.
Je reviens à moi au moment où Kade pose ses mains sur mes épaules, comme un électro choc. Je me rue vers Hécate, je l’attrape, je lui souffle d’arrêter. Ses mouvements cessent, il se recule. Et moi, je reste à genoux devant Josh, blessé au visage. Je me surprends à me dire « bien fait pour toi, tu mérites ces blessures ». Mais ça ne m’apaise pas pour autant.
- Altaïr, t’étais pas censé voir ça… - Tu devrais fermer ta gueule. - Toi, ferme-la. T’as rien à dire, t’es pire que moi. - Ouais c’est ça, ouais. Juge-moi, vas-y, j’en ai rien à foutre. - Fais pas l’innocent, t’as chauffé mon mec et vous vous êtes embrassés. Alt, pourquoi tu m’as rien dit ? - T’es vraiment le plus gros connard de toute l’histoire de l’humanité. On a rien fait ! - Je vous ai vu vous embrasser. - Achète-toi des lorgnons. Il m’a repoussé parce qu’il est assez stupide pour t’aimer. - Mais… Je vous ai vu… - Ouais bah t’as halluciné, mon pote.
Josh ne dit plus rien. Et je ne réagis toujours pas. Je ne fais que le regarder tristement en me demandant pourquoi. Pourquoi il a fait ça ? Pourquoi il ne m’a pas parlé, à la place ? J’aurais pu le rassurer. Et tout aurait été très bien. Pourquoi… Pourquoi il a décidé de se venger ? Est-ce que je suis une si mauvaise personne que ça ? Non. Je ne crois pas. Si je l’étais, je me serais laissé envoûter par Hécate. Mais je l’ai repoussé. Et je l’aurais encore repoussé. Encore et encore, s’il avait fallu. Et j’aurais tout dit à Josh. Il ne m’en a même pas laissé le temps.
La colère m’envahit et enfin je bouge. Je pars de cet endroit maudit, attrapant une bouteille au passage. Je ne devrais pas boire autant mais tant pis. Je ne veux plus penser. Je ne veux plus avoir mal. Je fuis, malgré les appels de Josh et malgré ceux d’Hécate. Je sais que Seth me court après. Je l’ignore jusqu’à ce qu’il me lâche. Je ne sais pas où je vais. Je ne veux pas rentrer. Je ne veux pas revoir cet appartement rempli de souvenirs.
Je bois une gorgée d’alcool. Ça brûle ma gorge mais ça me réchauffe le ventre d’une manière agréable. J’ai l’impression que je n’ai jamais autant eu mal de toute ma vie. Qu’est-ce que je vais faire, maintenant ? Où est-ce que je vais aller ? Hécate n’a pas de maison… Hécate. Oh, j’ai envie de voir Hécate. Mais je ne sais pas où il est. Il doit me chercher… Mais je n’ai pas envie de retourner à cette soirée. Je n’ai pas son numéro. Est-ce qu’il a un téléphone ? Je n’en ai aucune idée. Il faudrait qu’il en ait un. Il faudrait que j’aie son numéro. Pour les moments comme celui-là…
Mais je ne l’ai pas. J’ai envie de voir Hécate. Oh, je sais. Je vais aller à notre endroit à tous les deux. J’espère qu’il y pensera. J’espère qu’il viendra.
Une heure de marche, il m’a fallu une heure de marche avant d’arriver à notre ancien endroit. Le pire dans tout ça c’est qu’il a tellement changé. La souche d’arbre est pleine de mousse et la ville n’est plus aussi impressionnante qu’elle l’était à travers nos yeux d’enfants. Je soupire et m’assieds sur la mousse, tant pis pour mon jean. Après tout, je commence à être bien éméché, bien trop pour m’en soucier.
J’espère qu’il viendra. Hécate, viens à moi. J’ai besoin de toi.
Mes yeux sont secs, maintenant. Je ne sais pas combien de temps j’ai attendu avant d’entendre du bruit dans mon dos. Hécate est arrivé tranquillement, muni de plusieurs bouteilles. J’ai constaté que ses mains rougies par les coups tremblaient. Mais je n’ai rien dit là-dessus, parce que je n’avais rien à dire. Et pour le moment, on regarde le ciel étoilé sans dire un mot.
- Tout le monde te cherche… - Je sais, mon téléphone arrête pas de sonner. Je l’ai éteint, je veux pas leur parler. - Ouais…
Non. Ni à Kade, ni à Josh, surtout pas à Josh. Et Seth, ce sale petit con qui savait ce que Josh faisait. J’ai la rage contre mes amis.
- Ça va aller ?
Je soupire et je pose ma tête sur l’épaule d’Hécate. Il m’est d’un grand réconfort.
- Tu te souviens quand on venait ici ? Tu disais que les gens ressemblaient à des fourmis. - Et qu’ils l’étaient. - Ouais… On est des fourmis. - Je disais ça pour te rassurer. Tu prenais trop les choses à cœur, en ce temps-là. - Bah… C’est toujours un peu le cas, je crois. - Je sais pas trop. Si tu dis ça pour Josh… Non, pas vraiment. C’est normal d’avoir mal après ce qu’il t’a fait. - Peu importe. C’est qu’une putain de fourmi. - Exact.
Je souris tristement. Les yeux toujours braqués vers les étoiles, j’essaie d’éclaircir mon esprit. Je ne veux plus y penser. Ça fait trop mal. Je l’aimais. Je l’aime toujours. Je ne comprends pas.
- Tu crois qu’il a mal, lui aussi ? - Avec ce que je lui ai mis, oui. - Non mais… Au cœur… - Ah… Je sais pas. Je pense qu’il réalise pas encore très bien qu’il vient de te perdre. - Tu crois qu’il m’a perdu ? - Quoi, tu vas retourner avec après ça ?
Je réfléchis. Chose très difficile quand on a bu. Est-ce que je l’aime assez pour le pardonner ? Probablement… Mais est-ce que c’est pardonnable ? Je ne sais pas. La confiance que je lui portais a littéralement disparu. C’est comme s’il avait détruit tout ce qu’on a construit.
- Probablement pas. - Bon alors la question est vite répondue.
Je lâche un léger rire, très léger. Sa blague est drôle mais je n’ai pas le cœur à rire.
- Hetty… - Mh ? - Tu crois que je mérite ce qui m’arrive ? - Non. Bien sûr que non. Tu devrais même pas te poser la question. - Mais si je souffre, c’est parce que je le mérite… - Non, si tu souffres, c’est parce qu’il t’a brisé le cœur. C’est tout. Y’a pas de question de mérite, Alty. - Mh… Au moins t’es là. - T’as quand même pas cru que j’allais pas te trouver ? - J’ai douté un peu. Je t’ai attendu longtemps ! - Ouais… Mais je suis là. J’ai mis un moment à me souvenir de cet endroit. - Ah ouais ? Je suis outré ! - Enchanté, Outré. Moi c’est Hécate. - Pff… - Râle pas, je suis là, c’est ce qui compte, non ? - Mh…
Oui, c’est ce qui compte. J’ai vraiment besoin de sa présence. C’est le seul que je veux voir, quand je ne suis pas bien. C’est le seul que je veux voir, ça l’a toujours été.
- Allez Alty. Je vais pas partir, je vis chez toi. - C’est plus chez moi. - Non, c’est plus chez Josh et toi. Mais ça reste chez toi. - Je veux pas y retourner. - Faudra bien à un moment.
Je soupire de nouveau. Je n’ai vraiment pas envie de rentrer alors je bois pour oublier que cet endroit était notre cocon, à Josh et moi. Il faut que j’arrête d’y penser. Au moins pour ce soir. Et Hécate le comprend. Alors il me parle d’autre chose. Il me raconte des blagues, il me raconte sa vie dans la rue. Toutes ces années pendant lesquelles il n’était plus dans ma vie, ce qu’il faisait, où il était. Et à quel point il a pensé à moi.
- J’ai même fabriqué une poupée à ton effigie pour avoir l’impression de t’avoir toujours avec moi. - C’est vrai ? Je veux la voir ! Elle me ressemble au moins ? - Elle n’est pas aussi belle que toi.
Il me fait rire. Ça me fait du bien, quand même. Il me fait beaucoup de bien. On se regarde quelques instants, mes yeux louchent sur ses lèvres. Hier soir, il a voulu m’embrasser… Je l’attire ? Est-ce qu’il m’attire ? Mais Josh… Non, Josh ne compte plus. Et il ne mériterait que ça. Alors, je me rapproche de mon Hetty.
- Arrête… - Quoi ? - Ne m’embrasse pas. - Pourquoi ? Je croyais que t’en avais envie… - Oui, c’est le cas. Mais il faut pas. - Mais pourquoi ? - Parce que tu viens de rompre avec ton mec, Alty. Parce que t’as le cœur brisé. Parce que tu le ferais pas pour les bonnes raisons. - J’ai envie, c’est pas une bonne raison ? - Si. Mais y’a d’autres raisons. Je le sais. - Tu fais chier, sors de ma tête un peu !
Il m’agace. Je me pousse pour mettre de la distance entre nous. Je sais qu’il a raison et ça m’agace encore plus. Et lui, il se tape une barre à côté.
- Arrête de rire, y’a rien de drôle ! - Si, y’a toi en train de faire le gamin boudeur. - Je boude pas. - Si tu le dis. Allez, viens, on rentre. - Je veux pas rentrer… - Tu dormiras dans la chambre d’ami. - Avec toi ? - Mh… Si tu veux… Si tu me promets de ne pas m’embrasser. - T’es vraiment… Argh ! - Je suis vraiment quoi ? - Un sale petit con ! - Ouais, je sais.
Il recommence à se marrer. Bon sang, il m’agace ! Mais je ne peux m’empêcher de rire avec lui. Il m’a manqué, mon Hetty.
Je savais bien que cette histoire avec Josh allait mal tourner. C’est un peu ma faute, je sais bien. Si je n’avais pas essayé d’embrasser Alty, on n’en serait pas là. Enfin… Je pense que ça aurait pété à un autre moment. Josh a trop peur de moi pour que ça ne pète pas. Et je comprends pas pourquoi. Je ne suis qu’un vieil ami d’Alty, un ami qui l’a laissé tomber. Alors pourquoi il a aussi peur de moi ? Est-ce qu’Alty lui a parlé de moi, assez pour craindre qu’il le quitte pour lui ? Pourtant, ça s’est vu dans son regard, à Alty, qu’il aime Josh. C’est une évidence. Mais j’imagine qu’il n’y a que les gens extérieurs au couple qui voient les évidences comme celle-ci.
Ce qui me fait le plus mal dans tout ça, ce n’est pas d’avoir ruiné leur couple. En soi, je n’ai pas fait grand-chose. Et puis Josh est allé trop loin. Non, ce qui me fait le plus mal, c’est de voir Alty souffrir à tel point qu’il en boit de manière indécente. On dira que je ne le connais pas parce qu’on ne s’est pas fréquenté depuis douze ans mais… je l’ai toujours plus ou moins suivi de loin, lui et sa vie. J’ai suivi le moment où il a eu son diplôme. Le moment où il a eu son premier baiser, aussi. Le nombre de fois où il a sorti sa monnaie pour la donner à des SDF. Le cœur en or qu’il possède ne mérite pas de se faire piétiner de la sorte.
Je tiens beaucoup mieux l’alcool qu’Alty. C’est pourquoi je suis réveillé bien plus tôt que lui, et presque sans gueule de bois. J’ai juste un mal de crâne tenace à gérer, mais ce n’est pas grand-chose en comparaison aux murges que j’ai pu me mettre dans ma vie de fugitif. Alty, lui, a beaucoup plus de mal. Il s’est endormi contre moi, dans la chambre qu’il m’a attribuée. Je l’ai aidé à se déshabiller avant, je savais qu’il aurait un peu chaud. Et en effet, il a été mon radiateur toute la nuit. Je n’ai même pas trouvé le bouton pour baisser la chaleur.
Il n’est que neuf heures mais déjà, on frappe à la porte. Et au fond de moi, je sais qui se trouve derrière cette porte. Et surtout, je sais pourquoi. Alors, je décide de ne pas ouvrir. Ça frappe encore, je reste silencieux. Mais quand la sonnette retentit, je grogne. Je ne veux pas qu’Alty se réveille. Encore moins pour un connard pareil. Je vais donc ouvrir, le visage pas très accueillant.
- Qu’est-ce que tu veux ? - Et toi, tu fous quoi chez moi ? - C’est pas chez toi, Josh. C’est fini. - Faut que je lui parle. Reste en dehors de ça. - Ouais, bah tu lui parleras plus tard. Il dort, là. J’crois pas qu’il soit en état ou même qu’il ait envie que tu lui racontes tes conneries.
Je suis un peu véhément. Mais honnêtement, je lui ai tellement bien refait le portrait la veille que ça me fait ma journée.
- C’est pas grave. Je vais l’attendre.
Il s’avance pour entrer mais, bien décidé à ne pas le laisser passer, je lui barre la route de mon corps et de la porte. Non, mon gars, t’entreras pas ici. Tu n’es pas le bienvenu.
- Bon. Laisse-moi entrer. C’est toujours chez moi, peu importe ce que t’en dis. - Ah ouais ? Bah pourquoi t’es pas entré sans frapper alors ?
Il reste con. C’est vrai, ça. Il a les clés, il aurait pu entrer comme il en avait envie. Pourtant, il s’est résigné à frapper à la porte. Parce qu’il sait qu’il n’est pas le bienvenu.
- Hécate, t’as assez fait de dégâts comme ça. Tu crois qu’il en penserait quoi que tu me laisses même pas entrer chez moi ? - J’te l’ai dit Josh, c’est plus chez toi. Et j’ai pas fait de dégâts. T’as causé ta perte tout seul, c’est pas moi qui ai baisé cette fille. - T’as quand même essayé de le chauffer ! - Pas ma faute si t’avais pas tes lunettes.
Il cherche à me remettre la faute dessus et en un sens, je ne peux pas lui en vouloir. Mais il va falloir qu’il se rende compte de l’impact qu’a eu son acte sur Altaïr.
- Peu importe. Il aurait dû m’en parler. - Ça c’est pas mon problème. Bon, tu veux entrer, je veux pas que t’entres, et je vais pas passer ma journée à argumenter. Donc tu te tires ou je te claque la porte au nez ? - Non mais t’es sérieux ? T’es vraiment un sale con puant. - Quoi, t’en as pas eu assez hier soir ? T’as encore faim ? - C’est bon. Je vais l’attendre là. - Bien.
Je referme la porte. Je n’ai pas l’habitude d’être violent. A vrai dire, je déteste ces pulsions que j’ai parfois, et je déteste menacer les gens. Mais il ne se serait pas résigné si je ne l’avais pas fait. Et puis, il m’énerve un peu. Il a cet air suffisant qui me débecte. Enfin, je pars me refaire un café et je fouille aussi les placards. Quand Alty va se réveiller, il aura faim et j’imagine très bien quel genre de nourriture il voudra. Si je pouvais, je commanderais, mais je ne peux pas. Alors, il devra se contenter de ce que je lui fais à manger avec ce qu’il reste dans son frigo.
Mon Dieu, j’ai bien trop bu. J’ai l’impression qu’une perceuse fait des trous dans mon crâne, constamment. Je n’ai rien oublié de cette soirée désastreuse. Ça devait être une bonne soirée, je devais profiter de mon week-end de congé, et finalement, voilà que ma vie est complétement bouleversée. Mais pas uniquement par l’arrivée d’Hécate. Non… Heureusement qu’il est là, d’ailleurs. Je me souviens m’être endormi comme une masse dans ses bras, entouré de son odeur, apaisé par sa chaleur et ses caresses dans mes cheveux. J’ai toujours adoré ça… Mais je ne l’ai jamais dit. C’était réservé à Hécate.
Je sais aussi qu’il a quitté le lit assez tôt. Je n’ai pas vu l’heure mais vu la lumière filtrée par les rideaux, il doit être tard dans la matinée. Ou même en début d’après-midi. Je n’ai pas envie de regarder mon téléphone. Je l’ai éteint et je ne compte pas l’allumer. Je ne suis pas prêt à voir tous ces appels manqués et ces messages. Je me tourne en serrant l’oreiller d’Hécate, râlant même un peu sur le fait qu’il ne soit pas là. Et puis, je décide de me lever au bout de quelques minutes à ronchonner. J’imagine qu’Hécate est dans l’appartement, quelque part. Je n’entends pas la télé, il ne doit pas la regarder.
En sortant du lit, je me rends compte que je suis en sous-vêtements. Ah. C’est vrai, Hécate a dû me déshabiller pour que je sois plus confortable. Je me souviens, maintenant. Il s’est littéralement battu avec mon pantalon car je n’arrivais pas à pointer les pieds. Je ne crois pas lui avoir été d’une grande utilité, bien au contraire. Cette pensée me fait sourire et j’enfile rapidement un t-shirt avant de passer vite fait à la salle de bain.
Hécate n’est pas dans le salon. Mais un rapide coup d’œil sur ma gauche me permet de le voir dans la cuisine. Je l’y rejoins avec un fin sourire. Je ne dois pas avoir une bonne tête vu mon état physique et mental, mais tant pis. Je suis en gueule de bois, je n’ai pas envie qu’on m’emmerde.
- Ah, te voilà réveillé. Bien dormi ? - Mh, oui, étonnamment.
Étonnamment. Parce qu’avec ce qui s’est passé la veille, je me serais imaginé ne pas dormir tant j’avais mal. Youhou, vive l’alcool !
- Ça va aller Alty. Je t’ai fait des gaufres.
Il pose une grosse assiette remplie de gaufres devant moi ainsi qu’un grand verre de jus d’orange avec des pilules à côté.
- Mais tu t’es levé à quelle heure pour faire tout ça ? - Vers huit heures. - Wow… T’es pas fatigué ? - Non, ça va. J’ai bien dormi. Je tiens mieux l’alcool que toi et j’ai pas autant bu non plus.
C’est vrai. Il a beaucoup moins bu que moi. Mais il a quand même bu énormément et je me demande comment il fait pour tenir debout avec si peu d’heures de sommeil. Moi, je suis exténué. J’ai la tête en vrac et l’estomac qui réclame. Les gaufres me font de l’œil, alors je m’empresse d’en manger une bouchée sans attendre.
- Bon appétit !
Hécate rit en me voyant faire. Je lui lance un « merci » les joues encore pleines. Ses gaufres sont excellentes, et une fois que j’en ai avalé une entière, je prends les cachets qu’il m’a posé avec mon jus d’orange.
- Alors, tu te sens un peu mieux déjà ? - Oui, ça va. Dis… - Mh ? - Ça a sonné ce matin, non ?
Je me souviens avoir été réveillé par la sonnette de l’appartement. Je me suis vite rendormi sans même avoir le temps de me demander qui était là. Ou de me dire que c’était Josh. Mais maintenant que je suis bien réveillé, la question se pose dans mon esprit comme une évidence.
- Oui, ça a sonné. - Ah… C’était qui ? - Alty, tu sais qui c’était. - Ouais… Je me doute. Mais pourquoi il a sonné ? Il a les clés, pourquoi il est pas entré directement ? - Aucune idée. Peut-être qu’il sait que ton chien de garde serait là pour le virer.
Il sourit, fier de sa bêtise. Hécate n’est pas mon chien de garde. Mais il me protège comme il peut. J’ai pu le constater hier quand il s’est jeté sur Josh pour lui refaire le portrait.
- Tu lui as dit quoi alors ? - Que tu dormais et que t’étais pas en état. Il voulait t’attendre à l’intérieur mais je l’en ai empêché. Du coup il attend sur le palier, s’il est pas parti en tout cas. - Il est devant la porte ?! - Ouais.
Mon cœur fait un bon dans ma poitrine. Josh est dehors en train de m’attendre et le fait de le savoir m’angoisse au plus haut point.
- Eh, t’es pas obligé de lui parler aujourd’hui tu sais. - Mais il attend… - Et alors ? Il partira bien quand il comprendra que tu ne veux pas le voir aujourd’hui. Il reviendra un autre jour. Ou au pire, il frappera et je lui dirais que tu veux pas lui parler aujourd’hui. - Il va en avoir marre de ta gueule, à force.
Il rit et je secoue la tête en reprenant une bouchée de gaufre. Elles sont trop bonnes, et même si j’angoisse un peu, j’ai quand même pas mal faim. J’essaie de virer Josh de ma tête. Je ne veux pas y penser. Du moins, pas aujourd’hui.
- Comment vont tes mains ? - Bah bien. Pourquoi ? - T’y es pas allé de main morte hier. - Ah. Non, oui, ça va. J’ai un peu mal aux phalanges mais ça va. Il a la tête dure !
Il me montre ses mains et je grimace. Ses phalanges sont bien rouges et il tremble. Sans attendre, je pars dans la salle de bain et j’en reviens avec une crème apaisante.
- Ah, c’est pas la peine, ça va ! - Tsh ! Laisse-moi prendre soin de toi. Toi tu prends bien soin de moi alors j’ai le droit.
Il râle. Mais je m’en fiche. Je prends sa main et applique la crème avec douceur, sans masser pour éviter de lui faire mal.
- Alty… - Oui ? - Aujourd’hui, je veux que tu penses à toi. - Ben… C’est ce que je fais, là. - Non, là tu prends soin de moi. Tu penses à moi. Et tu vas certainement penser à Josh aussi.
Hécate a raison. Mais je suis comme ça, je n’y peux rien. Je ne peux pas me battre contre ce que je suis.
- Probablement. C’est pas grave, ça me passera. - Si, c’est grave. Arrête d’essayer de me rassurer. Si t’as besoin de pleurer, alors pleure. Si t’as besoin de crier, alors crie. Mais s’il te plaît, ne fais pas en fonction de moi. Pour une fois, s’il te plaît.
Je comprends ce qu’il me demande. Mais je ne sais pas si j’en serais capable. J’ai toujours été celui qui se met de côté pour que les autres soient bien. Celui qui dit « c’est pas grave » ou « ne t’en fais pas » même quand ça ne va pas. Depuis tout petit, d’ailleurs. C’est pour ça qu’il le sait si bien et qu’il insiste si fort.
- Mh… je vais essayer.
Une fois que j’ai fini d’appliquer la crème, il prend ma main et la caresse tendrement en me souriant. J’apprécie grandement ce moment de tendresse. Comme si je n’en avais pas eu assez de passer la nuit blotti contre lui. Et dans un sens, j’ai aussi la sensation que d’en avoir envie est mal. Josh est toujours dans ma tête. Évidemment que mes sentiments pour lui sont toujours là. Je n’arrive pas à croire ce qu’il a fait hier soir, ce que j’ai vu de mes propres yeux. Ce n’est pas le Josh que je connais. Non, je ne dois pas y penser. Je dois penser à moi. J’ai promis. Hécate me lâche et s’écarte après un petit instant.
- Finis de manger. On pourrait regarder un film après si tu veux.
Je hoche la tête. C’est un bon programme. Détente devant un film et possiblement des câlins pour le réconfort. J’ai déjà hâte.
Après le petit déjeuner, Hécate a préparé le canapé et s’est occupé de tout pendant cette journée. On a regardé la télé, je suis resté dans ses bras tout du long. On s’est commandé à manger aussi. Des sushis. J’ai appris à Hécate comment tenir des baguettes, on a dansé un moment aussi. Il a tout fait pour me sortir Josh de la tête et il a presque réussi. Enfin, il a réussi. Mais quand j’ai fait ma sieste en plein après-midi, j’ai entendu sonner. Ça m’a réveillé mais je n’ai pas bougé. Je n’ai encore aucune envie de lui parler. Je veux juste continuer à l’oublier, continuer à penser à autre chose, à me détendre avec Hécate, à retrouver Hetty. Et c’est tout.
Mais il s’est montré insistant. A tel point que c’est Hécate qui lui a ouvert. Je ne dormais pas. Et j’ai tout entendu de leur échange.
- Rentre chez toi, Josh. Il a besoin de temps. Tu l’as trompé, quand même, tu le sais ? - Pourquoi c’est toujours toi qui ouvres la porte ? - Parce qu’il veut pas te voir. Puis, tu sonnes toujours quand il dort. Tu vas finir par le réveiller, arrête ça un peu. - Ouais. On peut pas te demander de comprendre à toi. - De comprendre quoi ? - Que c’est pas aussi facile pour tout le monde d’oublier ses proches.
Aïe. Je pense qu’Hécate va mal le prendre. Non, j’en suis sûr. J’hésite à me lever pour arrêter tout ça. Je ne veux pas qu’ils se battent encore. Je suis infirmier, oui, mais je suis en congé aussi, et puis même, je ne veux pas que l’un d’eux se retrouve blessé. Ça me fait mal au cœur rien que d’y penser.
- J’ai pas vraiment le cœur à me battre avec toi maintenant.
Sauvé ! Merci Hécate. T’es vraiment le meilleur.
- Et moi je m’en carre. Je veux lui parler. - Pour lui dire quoi ? Que tu « l’aimes » ? - Oui, que je l’aime. Que j’suis désolé, que j’ai fait une erreur. Que je veux pas le perdre. Que je veux pas perdre l’amour de ma vie. - C’est pas l’amour de ta vie. On trompe pas l’amour de sa vie sous un prétexte bidon parce qu’on a pas su parler à l’amour de sa vie.
Toute cette discussion me fait mal au cœur. J’ai envie de hurler. De leur hurler d’arrêter. De crier à Josh de partir et en même temps, de le supplier de rester.
- Tu sais rien de ce qu’on a vécu, Hécate. - Non. Et je m’en fiche. Tu lui as brisé le cœur. Tu t’attendais à quoi ? - Au moins à ce qu’on puisse discuter. - Laisse lui du temps. Je te l’ai dit.
Je n’entends plus rien à partir de là. Ils ont cessé d’argumenter et j’entends la porte se fermer après un petit moment dans le silence. Mon cœur me fait si mal. J’ai l’impression que toute cette journée à m’occuper de moi n’aura servi à rien. Je sens Hécate se rasseoir près de moi, il remet mes jambes sur ses cuisses. Mais je ne peux plus dormir, maintenant. Alors, je me relève et m’assieds en laissant mes jambes où elles sont. Je frotte mes yeux et Hécate me regarde d’un air inquiet.
- Tu as fait un cauchemar ?
Je sais qu’il espère que je lui réponde oui. Que j’ai vraiment fait un cauchemar et rien de plus. Mais je ne peux pas mentir, je ne sais pas mentir, et mon visage n’y arriverait pas de toute façon. Alors, je secoue ma tête baissée. Et il comprend immédiatement. Il m’attrape par les hanches et me force à venir s’asseoir sur ses jambes pour me serrer contre lui. Je fourre mon visage accablé dans son cou, le serrant de toute ma petite force.
- Je suis désolé. J’ai fait ce que j’ai pu pour le tenir à l’écart pendant encore un petit temps. Je pensais pas que tu entendrais tout ça… - C’est pas ta faute Hetty. Mais… Je me sens mal… J’ai mal… - Je sais. Tu veux qu’on remette un film ? - Non. Hécate, pourquoi tu tiens tant à le garder loin de moi ?
Je ne veux pas dire qu’Hécate essaie de mettre un terme à la relation que j’ai avec Josh. Mais j’ai la sensation que c’est un peu ce qu’il essaie de faire, même si je sais, au fond, qu’il essaie seulement de se rattraper de toutes ces années de disparition.
- Tu crois que j’essaie de ruiner votre couple ? - Non… Enfin… Je sais pas ? - Alty, j’essaie juste de t’aider. Je sais comment tu es. Ce qu’il a fait, il pourrait le refaire. J’essaie simplement de te protéger et de t’apprendre à prendre soin de toi avant de penser aux autres. - Je sais… Mais je sais aussi que tu serais content de m’avoir pour toi tout seul. - Non. Enfin oui. Mais j’essaie pas de ruiner ton couple. Si tu veux lui parler, je peux le rattraper. - Non ! Non, je veux pas.
Bon, il m’a eu sur ce coup-là. Je n’ai aucune envie de parler à Josh, pas tout de suite. Je devrais peut-être lui faire plus confiance… Mais en même temps, je ne connais pas ce nouvel Hécate. Enfin, il n’a pas totalement changé. Ce n’est pas devenu un sale con puant. Enfin, je ne crois pas. Pour le moment, il prend soin de moi. Il ne me demande rien en retour, seulement que je ne l’aide pas. Il s’occupe du ménage et de faire à manger. Il n’est pas là depuis longtemps mais je sens ses bonnes intentions. Je sens qu’il n’est pas mauvais. Peut-être… ?
- Alors, tu veux faire quoi ? Si tu veux que je parte, je partirais. Je peux aussi rester. C’est toi qui vois. - Il n’a jamais été question que tu partes, Hetty… - C’est comme tu veux. Peut-être que t’as besoin de passer du temps un peu seul, de te retrouver.
Je m’accroche un peu plus à lui.
- Non. On remet un film ? Et on pourrait cuisiner après. - Mh… Ton frigo est vide, tu sais ? - Ah… Eh bien, on pourrait aller faire quelques courses. - D’accord. Mais va te doucher d’abord. Tu pues.
Je lève les yeux au ciel en me détachant de lui.
- C’est toi qui pues. - C’est une proposition ?
Son sourire taquin fait chavirer mon cœur et je me relève un peu trop rapidement. Je ne veux pas craquer, il ne faut pas.
- Non. Reste dans ta puanteur, moi, je vais me laver !
Je m’éclipse dans la salle de bain sans lui laisser le temps de répondre. Je me sens toujours mal mais… Hetty me réconforte vraiment. Tout est si naturel entre nous. On chasse les nuages avec une aisance hallucinante. C’est comme s’il ne m’avait jamais quitté. Heureusement que je l’ai.
La fin de la journée se passe plutôt bien. On est allés au magasin faire quelques courses. La bonne humeur était toujours là. Hécate faisait bien attention à ce que je sois bien, et que Josh soit hors de mes pensées. Puis, on a passé la soirée à cuisiner et à manger tranquillement devant la télé. Et enfin, il m’a porté dans son lit quand je me suis endormi dans ses bras. J’ai passé la nuit collé à lui, comme s’il était mon doudou.
J’ai eu de mauvaises pensées envers Hetty, je m’en veux un peu d’avoir douté de lui comme ça. Mais il semble tellement impliqué dans ma relation avec Josh que je n’ai pas pu m’empêcher de songer qu’il veuille que tout s’arrête pour me récupérer. Le fait qu’il ait tenté de m’embrasser n’aide pas ce point-là, à vrai dire. Il venait juste de me retrouver, je peux comprendre qu’il ait tenté quelque chose. Mais ça reste toujours dans un coin de ma tête.
Le lendemain, je me suis préparé pour aller travailler. Mon week-end de congé étant terminé, ça me fait du bien aussi, après tout ça, de travailler. De m’occuper, aussi bien les mains que l’esprit. La journée m’a paru si courte qu’en sortant de l’hôpital, je ne me suis pas rendu compte de l’heure tardive qu’il était. Vingt-deux heures… Oui, j’ai fait des heures supplémentaires et je vais certainement passer une nuit courte.
Lorsque j’arrive à la maison, je suis surpris de constater qu’Hécate n’est pas tout seul. Josh n’est pas là, enfin, je crois, mais Seth se trouve avec lui, assis sur le canapé. Les deux semblent m’attendre tout en partageant une discussion plutôt animée.
- Alty ! Seth est venu nous rendre visite. - Oh, salut Seth. Ça va ?
Il a l’air un peu gêné de me voir. Il évite clairement mon regard et joue avec le bas de son t-shirt. Curieux, je me rapproche.
- Qu’est-ce qu’il y a ? - Je suis désolé Alt… - Désolé ? Pour quoi ? - Parce que Josh t’a brisé le cœur… - Oh.
Oh non. Je n’ai aucune envie de parler de lui maintenant. J’ai passé une bonne journée à ne pas penser à lui, ce n’est pas pour tout gâcher maintenant. Mais Seth se relève, toujours la tête baissée.
- Je suis désolé de l’avoir couvert… Je voulais juste éviter que tu aies mal… Qu’il te fasse souffrir… - Je vois. Mais tu savais qu’il était en train de me tromper… - Non… Enfin, je l’ai vu disparaître dans la chambre, j’ai juste vu la fille, mais après on m’a parlé et j’ai totalement oublié, jusqu’à ce que tu ailles devant la porte… - Ah. Ben, écoute, c’est pas grave. C’est pas ta faute, Seth. - C’est vrai ?...
Ses yeux rouges et humides se relèvent enfin pour croiser les miens. Bon sang, Seth est tellement fragile. Il a dû passer sa nuit à me chercher et à paniquer, puis le lendemain à pleurer. Rien que d’y penser, ça me fait mal au cœur. Je le prends dans mes bras pour le réconforter.
- Oui, c’est vrai. Je ne t’en veux pas. Et tu ne devrais pas t’en vouloir non plus. Tout va bien, d’accord ? - Je sais que tu mens… - Mais c’est pas grave, Seth. Je vais m’en remettre. - Oui… Je lui parlerai plus de toute manière.
Il se recule et possède désormais un air déterminé sur le visage qui me fait rire.
- Tu peux lui parler si tu veux ! C’est ton ami aussi. - Non. C’est toi mon ami. Et il t’a fait du mal. Si tu lui pardonnes pas, je lui pardonne pas.
Seth est vraiment le plus adorable d’entre nous. Il est comme un enfant à protéger, tout le temps et de tout. D’ailleurs, si Seth est là, Kade ne devrait pas être loin non plus.
- Kade est pas là ? - Si, il est parti aux toilettes. - Ah ! Cool. - Dis donc, tu rentres tard.
Hécate me fait la remarque alors que je m’installe près de lui dans un long soupir épuisé. Maintenant que je me pose et que je me détends, la fatigue m’accable, à tel point que mon corps ne veut plus bouger.
- Mh… J’ai fait des heures supplémentaires. - T’as mangé ? - Non, pas eu le temps.
Hécate se lève alors et je ferme les yeux. Pile au moment où j’entends le micro-ondes s’enclencher, Kade arrive et s’installe sur le fauteuil en face, obligeant Seth à s’asseoir sur ses genoux. Ces deux-là ont toujours été proches, à tel point qu’on dirait un couple. Je les soupçonne d’être amoureux tous les deux, d’ailleurs. Je pense que Kade en est conscient mais que Seth se voile la face.
- Eh, dors pas. - Mh ? Non, t’inquiète. Tu vas bien ? - Oui, ça va. C’est Seth qui était dans le mal… - Eh, je suis là !
Seth se manifeste et me fait à nouveau sourire.
- On sait que t’es là. T’en fais pas. - Et toi alors ? Tu te sens comment ? - Ça va, Kade. Je suis pas malade, non plus. - Bah, t’as un peu le cœur brisé, c’est tout comme. - Je vais pas me laisser mourir. - De toute façon, je suis là pour l’en empêcher.
Hécate revient avec un beau plateau repas. Il a dû le préparer bien avant que je ne rentre. Il est adorable, à penser à moi comme ça. A s’inquiéter. Et franchement, je suis fatigué, mais quel plaisir c’est d’être entouré de mes trois amis d’enfance. Sans Hécate, ça n’était plus pareil. Maintenant, nous sommes réunis. Et on passe une bonne heure tous les quatre, à rire et à s’amuser ensemble comme on pouvait le faire dans le temps.
Cette soirée m’a fait un bien fou. Aller de l’avant ne me semble plus aussi compliqué maintenant que nous sommes tous les quatre réunis. Et j’ai la sensation que notre groupe se resoude. En tout cas, Seth m’écrit plus souvent et Kade aussi, à travers lui. Hécate me dicte ses messages. Il m’a avoué qu’il n’avait pas de téléphone. Je voulais lui en acheter un mais il n’a pas voulu. Ah, ça m’agace, de ne pas pouvoir l’aider. Au moins pour pouvoir le contacter et le texter quand je veux… Mais il n’a pas voulu malgré mes arguments. J’ai tout de même réussi à le convaincre de s’en acheter un à carte au bureau de tabac ! C’est déjà ça.
Quelques jours après cette soirée, nous sommes en fin de semaine et le travail aussi m’a fait beaucoup de bien. J’y suis encore pour le moment, je devais sortir il y a une heure mais je devais terminer ce que j’avais à faire avant de laisser la relève prendre le relais. Une fois changé, je dis au revoir à mes collègues et je sors par l’entrée principale.
- Altaïr ?
Mon cœur s’arrête d’un seul coup quand j’entends cette voix. Bon sang, non, pas maintenant. Pitié, Josh, laisse-moi en paix. Laisse-moi avancer.
- Alt… faut qu’on parle. - Je sors du boulot… J’ai pas vraiment envie de parler, je suis fatigué.
Il me prend la main. Ses yeux sont gonflés et rouges, et son air est triste. Non, désespéré. Mon cœur se brise à nouveau.
- Je t’écoute, vas-y.
Ses épaules s’affaissent. J’ai l’impression qu’il ne s’attendait pas à ce que je cède aussi vite, qu’il avait préparé toute une argumentation pour le laisser m’expliquer. Mais le truc, c’est qu’il n’y a rien à expliquer. Je sais déjà tout ce que je dois savoir.
- Alt… On peut pas foutre en l’air toutes ces années de bonheur juste à cause d’une petite erreur… - Petite ? Tu fourrais une fille, j’appelle pas ça une petite erreur. - Oui, tu as raison. C’était une énorme erreur, surtout si elle implique de te perdre. Je peux pas imaginer ma vie sans toi, Alt. Je… J’ai agi par vengeance, j’étais persuadé que tu m’avais trompé… Et j’avais beaucoup bu. - L’alcool n’excuse rien, Josh. - Je sais, je sais, mais tu me connais mieux que ça, non ? Tu sais comment je suis. - Peu importe.
Je reste sur mes positions. Hécate a raison, s’il m’aimait vraiment, il ne m’aurait jamais trompé. Même par vengeance.
- J’ai eu peur… J’ai eu peur parce qu’Hécate est revenu dans ta vie et s’est installé chez nous. J’ai eu peur, je sais que même s’il t’avait embrassé, tu me l’aurais dit. J’ai eu peur parce que tu ne m’as rien dit le soir-même… J’ai eu peur que tu le préfères à moi. Tu me parlais si souvent de lui, Alt… - Mais tu aurais dû me faire confiance ! Et je ne voulais que ça, te parler ! Je l’ai pas fait le soir-même parce que j’étais crevé de ma journée ! - Mais tu savais déjà que j’étais paniqué à l’idée qu’il revienne dans ta vie, on en parlait plus tôt. Tu aurais dû m’en parler sans attendre. - Tu aurais dû savoir que je t’aurais jamais fait ça, Josh…
J’ai de la peine pour lui. Je ne devrais pas, parce que c’est lui qui a merdé. Mais je comprends tout à fait ce qu’il a pu ressentir et ce qu’il peut ressentir maintenant. Et quelque part, je m’en veux de ne pas l’avoir forcé à la discussion. Ou même de ne pas lui en avoir parlé directement.
- Je suis désolé. Je le suis vraiment. Tu as raison, j’aurais dû le savoir. - Oui.
Au moins, il le reconnaît. C’est une bonne chose.
- Tu me connais mieux que ça. Alt…
Il tire sur ma main pour m’attirer à lui, je résiste un peu. Mais finalement il se rapproche tellement que je suis obligé de planter mon regard dans le sien, sans pouvoir l’éviter.
- Arrête… - Je t’aime Altaïr. J’ai jamais aimé personne autant que je t’aime toi. T’es l’homme de ma vie. On était tellement bien ensemble… Hein ? On était bien avant qu’Hécate débarque. - C’est pas sa faute… - Il n’y est pas pour rien non plus… Il m’éloigne de toi. - Il veut me protéger de toi. - Mais tu me connais mieux que ça. Il a pas à te protéger, je suis pas une menace. Je te rends heureux.
Josh était absolument incapable de me faire du mal, avant que tout ça n’arrive. Et oui, j’étais plutôt heureux dans mon couple avant qu’Hécate ne débarque. J’ai un peu de mal à concevoir qu’Hécate essaie de nous séparer.
- Ne me monte pas contre lui. Il ne le fait pas, lui. - D’accord, OK. Mais s’il te plaît, ne mets pas un terme à notre belle relation comme ça. Après toutes ces années…
Il serre mes doigts et mon regard devient douloureux. Tous ces souvenirs me reviennent en tête. Ces souvenirs heureux, ces moments où on se baladait main dans la main, où on s’amusait ensemble. Nos câlins le soir au lit, et nos dimanches enfermés dans la chambre. Notre relation est belle, c’est un fait.
- Je dois réfléchir à tout ça. J’ai besoin de temps… - Je t’en laisse si tu veux. Me laisse pas sans nouvelle, c’est tout ce que je demande. Je veux savoir que tu vas bien. - Josh… - Juste un message de temps en temps. Je vais pas te harceler. Altaïr, tu me connais. - Mh… D’accord…
S’il ne demande que ça, je peux lui accorder. Je n’aurais qu’à lui dire que tout va bien une fois par jour et ça ira pour lui.
- Je te promets pas de revenir, tu sais… - Je sais. Mais au moins, t’es plus aussi catégorique… Tu vas y réfléchir. C’est tout ce que je demande.
Mon sourire se fait faible. Il a l’air déjà plus apaisé, moins paniqué. Et moins désespéré. J’espère seulement qu’il ne s’imagine pas le meilleur, parce que je ne sais plus du tout où j’en suis, maintenant. Il me lâche et s’écarte un peu, me laissant libre.
- Je te laisse rentrer. - Oui, merci…
Mon cœur me hurle de ne pas le laisser partir et de fondre dans ses bras directement. Évidemment, je l’aime encore. Mes sentiments n’ont pas disparu. Et cette discussion les a même ravivés.
- Bonne soirée alors. Tu me manques, Alt… - Toi aussi…
Je souris une dernière fois avant de lui tourner le dos pour rentrer chez moi. Enfin, chez nous. Où est-ce qu’il dort maintenant ? Je n’ai même pas pu lui demander. J’ai été tellement égoïste… Je dis que je l’aime mais je ne m’en fais même pas pour lui. Et on stagne parce que je reste sur mes positions. Je m’en veux tellement. D’avoir besoin de réfléchir. Putain, je suis tellement perdu.
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