2. Stitches

Un verre en terrasse. Par un beau temps comme celui-ci, Isaac devrait être heureux. Seulement, quelque chose cloche. Il a un mauvais préssentiment. Comme une mauvaise impression. Quelque chose plane au-dessus de sa tête, il le sent venir gros comme une maison. Ce soi-disant rencard n'augure rien de bon. Pourquoi a-t-il accepté, dans ce cas ? Parce qu'en dehors du clan, Isaac a besoin de vivre sa vie comme quelqu'un de normal. Enfin, de plus normal en tout cas. Il sait qu'il ne rentrera jamais dans les normes, de toute façon. Dans ses pensées, il ne remarque même pas que la femme en face de lui lui parle.

Eh oh, Isaac ? Qu'est-ce que tu as, à la fin ?

Désolé. Je crois qu'il va falloir qu'on rentre.

Mais on vient d'arriver !

Isaac se pince le haut du nez. Il n'a clairement pas envie de se lancer dans des explications maintenant. Ce sentiment d'urgence ne fait que grossir en lui, provoquant son envie de fuir. Et c'est en reposant les yeux sur elle qu'il en a la confirmation : un point rouge apparaît sur la chemise blanche de son date.

SOUS LA TABLE !!

Il hurle en se jetant sur elle, positionnant la table qui s'est renversée devant eux. Sa main attrape son pistolet à la taille tandis que ses yeux guettent d'où viennent les coups de feu. Tout le monde crie, impossible pour lui de percevoir quoi que ce soit. Il parvient tout de même du coin de l'oeil à apercevoir une silhouette familière qu'il pointe directement avec son arme. L'homme est aussi armé. Isaac tire, ne loupe pas sa cible, puis, la femme sous le bras, il décide de courir. De fuir pour sa vie.

Ce n'est qu'une fois assez loin qu'il la pose au sol, maintenant dans un immeuble sécurisé. La femme est terrorisée, il la guide jusque dans l'ascenseur. Les portes se referment tandis qu'il reprend son souffle.

Tu... tu... Tu s... tu saignes !!?

Isaac l'observe avec un regard interrogatif, puis il suit son regard à elle pour constater que sa jambe est ensanglantée. Avec l'adrénaline, il n'a sûrement pas dû faire attention et il s'est pris une balle. Il lève alors les yeux au ciel, retire sa veste pour en déchirer le tissu puis il l'attache fermement autour de sa cuisse.

C'est rien. T'inquiète.

Isaac connaît ce quartier. Il sait qu'il n'a pas grande réputation, il sait quel genre de personne y vit. Il n'a donc aucun souci à se faire quand il frappe à l'une des portes du dernier étage, commençant à être livide et à sentir le vertige s'emparer de lui.

Bonjour, hum... J'aurais besoin de... Euhm... Vous auriez des pansements ?

Non mais sérieusement ! Pousses-le dans les escaliers, tu vois bien que ce mec est un tocard quand même ! Harper incendiait sa télévision tout en repliant son linge. Activité banale, mais ce qui l'était moins, c'était d'être uniquement vêtue d'une petite culotte rose à pois noirs et d'un tee-shirt gris, laissant une de ses épaules dénudée. L'immeuble était plutôt tranquille. Pas un bruit ne venait perturber la série débile qui se jouait devant elle. En réalité, il n'y avait rien de spécial à regarder alors elle avait allumé sur une chaine au hasard et avait laissé la série en fond sonore. Mais elle avait fini par se prendre à l'histoire et se mettait régulièrement en pétard contre les acteurs qui jouaient mal ainsi que sur les personnages qu'elle avait tendance à trouver débiles.

C'est quand même incroyable de ne pas voir ce qu'il se passe devant tes yeux quand même ! Enfin Harper, tu me dirais, toi non plus, tu ne voyais pas tout ...

Sur un soupir, elle coupa la télévision et emmena le linge dans sa chambre afin de le ranger. Se retrouver bien loin de son ancienne chambre, du personnel aux petits soins pour elle lui faisait un bien fou. Elle se sentait normale. Pourtant, elle ne l'était pas. Sa famille ne l'était pas. Et elle était née là-dedans. Harper fut soudain tirée de ses pensées lorsqu'on frappa à la porte de son appartement. Elle n'attendait personne.

Deux secondes, j'arrive !

Elle enfila un jean en quatrième vitesse et emmena sa batte de baseball près de sa porte. Juste au cas-où. Elle l'ouvrit sur deux personnes qui semblaient manifestement en détresse. Et qui voulaient des pansements. Le sang coulait le long de la jambe de celui qui se trouvait devant elle tandis que la femme semblait des plus inquiètes.

Je ... Euh ...

Elle se préparait à refuser, imaginant un complot pour un autre règlement de compte, une manière d'atteindre son père. Et puis merde, ils avaient réellement besoin d'aide alors elle s'écarta de la porte d'entrée.

Entrez, j'imagine ! J'vais voir ce que j'ai dans la salle de bain, j'arrive !

Elle farfouilla les différents placards, les mains tremblantes avant de revenir, les bras chargés de bandages et de désinfectant.

Pour qu'on puisse faire quelque chose, il faudra que vous retiriez votre pantalon ...

Elle se sentait stupide et gênée de demander ça, mais c'était bien la procédure. Sa maman lui avait appris certaines choses. "Au cas-où" avait-elle dit des centaines de fois. Et avant qu'elle ne comprenne exactement les affaires de sa familles, Harper n'en avait jamais vu l'utilité. Aujourd'hui, certaines choses pourraient probablement l'aider à secourir cette personne.

S'il vous plaît aidez-nous par pitié !

Avec lui, Lucy paniquait aux larmes. Isaac avait vraiment besoin d'aide mais il comprend bien vite qu'il va falloir se soigner dans le couloir, quitte à tout souiller de son sang. Alors, quand l'inconnue décide d'aller fouiller ses placards, Isaac en profite pour s'asseoir contre le mur, les jambes étendues. Elle revient ensuite avec plein de choses qu'Isaac prend le temps d'analyser avant de lui répondre dans un geste. Il déchire son pantalon comme il l'avait fait avec sa veste, non sans une grimace. Il fouille ensuite dans la poche de celui-ci pour en sortir son briquet-chalumeau puis il fouille dans les affaires de la femme pour en sortir une pince à épiler. Ça fera l'affaire.

Merci.

Pour stériliser la pince, il la chauffe avec son briquet. Isaac prend une grande inspiration, puis il plonge la pince dans sa jambe à la recherche de la balle. Bien sûr, qu'il a mal. Bien sûr qu'il grimace et qu'il grogne, les dents serrées. Mais finalement, c'est en relâchant tous ses muscles qu'il parvient à retirer cette foutue balle qu'il jette au sol avec la pince, les mains ensanglantées.

Oh mon dieu, il va mourir ! Il va mourir ?!

Lucy s'est rapprochée de l'inconnue pour l'agripper dans un élan de désespoir ce qui fit grogner le blessé.

Tais-toi un peu, Lucy, je ne vais pas y passer. C'est rien.

C'est peut-être rien, mais c'est assez de sang perdu pour qu'il sente son esprit vaciller. Les vertiges s'emparent de lui et ses mains tremblantes essaient tant bien que mal de se faire une espèce de pansement, en vain.

Putain... Désolé, je... J'ai besoin d'aide.

Il lance un dernier regard à l'inconnue avant de s'évanouir, au beau milieu du couloir.

Harper ne pouvait pas s'empêcher de regarder dans le couloir. Quelqu'un aurait pu le suivre. Quelqu'un aurait pu avoir envie d'en finir avec lui. Avec eux. Après tout, lorsqu'elle était revenue avec tout ce qu'il lui fallait pour intervenir, il avait pris les choses en main lui-même. Elle l'avait observé faire, bras ballants. Presque pétrifiée par la situation. Est-ce que son père vivait ça parfois ? Elle s'imaginait néanmoins que les hommes de main qu'elle voyait défiler de temps en temps dans la maison pouvaient se retrouver dans ce genre de situation. Et Harper comprenait bien mieux pourquoi sa mère lui avait appris quelques gestes de premiers secours.

L'inconnue s'était agrippée au tee-shirt de la demoiselle lui demandant s'il allait mourir. Et pour être franche, elle ne connaissait pas la réponse. Harper trouvait même que la situation qui se déroulait sous ses yeux était complètement lunaire. Il est clair que ça venait mettre un coup à sa petite routine. Et il est clair aussi que comme elle s'en doutait, tout ça finirait par la rattraper. Elle avait répondu d'un air absent à l'inconnue avant d'être coupée par les paroles de celui qui se trouvait dans une position plus que particulière.

Euh ... Je ne ...

C'est rien. Comment ça ? Si c'était grave ! Il venait de perdre une grande partie de son sang en venant ici et en avait également laissé sur le sol du couloir. Avant même qu'elle ne comprenne tout, l'inconnu lança un dernier appel à l'aide. Il venait de s'évanouir. Il ne pouvait décidément pas rester là.

Il va falloir que tu m'aides à le mettre sur le canapé, à l'intérieur. J'imagine qu'il est hors de question de l'amener à l'hôpital sinon, c'est à cet endroit que vous seriez allés ?!

Elles attrapèrent le corps inerte du monsieur et Harper s'efforçait de garder son sang froid. Et elle allait devoir puiser dans ses affaires de fuite. Sans un mot, elle se dirigea vers sa chambre, fouilla ses valises et une caisse pour revenir dans le salon.

Il a besoin d'une transfusion, tu connais son groupe sanguin ou pas ? Sinon, c'est pas grave, je suis O négatif. Putain dans quoi je me suis fourrée encore ?!

Harper n'attendit pas la réponse et fit le choix de se piquer le bras ainsi que celui de l'inconnu afin de ne pas le laisser crever dans son salon. Elle ne voulait pas de ça. Pas aujourd'hui. Pas maintenant. Non. hors de question. Faites qu'il reprenne rapidement ses esprits, aidez-moi !

Est-ce que tu peux aller chercher une bouteille d'eau dans le frigo, il aura sans doute besoin de s'hydrater quand il se réveillera !

Isaac faisait toujours du mieux qu'il le pouvait. Les affaires restaient les affaires et elles étaient plutôt sales de son côté. Le problème, c'est qu'il n'est pas rare qu'il se retrouve blessé pour des règlements de compte qu'il gagne toujours. Pas souvent sur le moment, mais au final, c'est toujours son clan, le côté victorieux. Enfin, là, il avait perdu beaucoup de sang dans sa course. Il n'avait même pas compris qu'il était blessé avant d'être dans l'ascenseur. Et l'adrénaline redescend petit à petit. Il ressent ainsi malgré lui la perte conséquente de sang, jusqu'à s'évanouir en plein couloir.

Pendant ce temps, Lucy fait son maximum mais reste paniquée. Elle aide au maximum mais lorsqu'on lui demande d'aller chercher une bouteille d'eau, elle finit par rester dans la cuisine pour céder à sa panique en tentant de se calmer, ce qui fonctionne. De longues minutes passent avant qu'Isaac ne décide de montrer signe de vie en bougeant légèrement la tête tandis qu'il se réveille tout doucement, la bouche bien pâteuse.

Il lui semble qu'il a dormi des heures. En vérité, c'était peut-être juste une ou deux, grand maximum. La lumière le dérange alors qu'il tente d'ouvrir les yeux. Il grimace ainsi, grogne un peu avant de les ouvrir correctement. Tout ce qui l'entoure ne lui est pas familier. Ce n'est ni sa chambre, ni une chambre d'hôtel. En fait, ce n'est pas une chambre tout court, c'est un salon. Fronçant les sourcils, il se redresse peut-être trop rapidement, car il ressent le vertige le frapper. Mais ce dernier s'efface tout doucement. Isaac voit alors le visage de Lucy et celui de l'inconnue.

Ah... Mh, bonjour...

Un regard sur sa jambe lui fait dire qu'il a été correctement soigné après s'être évanoui. Et puis il sent le pansement sur son bras. Comme quand on lui fait une prise de sang. Confus, il observe les deux femmes. Sa gorge est sèche, il la racle légèrement.

Ugh... Je suis désolé. Merci de m'avoir soigné. J'aimerais prendre quelques minutes si vous le voulez bien et ensuite, je vous laisserais tranquille.

Ce qu'il venait de se passer était complètement lunaire. Et Harper se rendait compte de plusieurs choses. Premièrement, sa mère lui avait appris quelques gestes de survie pour elle comme pour d'autres. Et ces gestes venait de sauver quelqu'un, mais est-ce que cette décision de le sauver avait été la bonne ? Elle imaginait le découvrir bien assez tôt. Deuxièmement, elle comprenait que sa famille l'avait préparée à parer à toute éventualités. Elle était prête pour un tas de choses sans trop s'en rendre compte. Mine de rien, Harper avait sans doute été préparée bien plus qu'elle ne le pensait. Elle était prête à reprendre les rennes après son père. Non. Ca ne pouvait pas avoir fonctionné comme ça. Harper avait sans doute appris ça d'elle-même. Jamais elle ne se serait fait bernée aussi facilement quand même ?!

La transfusion l'avait affaiblie. Donner son sang, ce n'était pas quelque chose de tout repos. Et il était hors de question qu'elle ferme un œil avec des inconnus dans son appartement. Elle avait donc lutté longuement jusqu'à ce que l'inconnu ouvre les yeux et se redresse difficilement.

Bonjour !

Il lui parlait de prendre quelques minutes et de s'en aller. Non. Elle méritait quand même quelques explications. C'était peut-être se mettre en danger que de demander quoi que ce soit, mais c'était peut-être une raison pour se protéger aussi. Alors elle se jeta à l'eau.

Non, non, non ! Vous êtes encore trop faibles pour partir et franchement, je n'aimerais pas avoir donné mon sang pour qu'il soit gaspillé ! Vous allez rester ici, boire cette bouteille d'eau et m'expliquer comment vous en êtes arrivés là.

Les bras croisés devant la poitrine, assise au sol près du canapé, elle regardait cet inconnu fixement, ne lui laissant presque aucun choix. Il devait lui donner ces réponses.

Et puis d'abord, comment vous vous appelez ?

Elle se tourna vers l'autre femme de cette pièce avant qu'elle ne réponde.

Oui, vous c'est Lucy, j'avais cru comprendre, dans toute cette panique.

Harper redirigea son regard vers l'inconnu, haussa les sourcils comme s'il mettait déjà bien trop de temps pour lui répondre et lui signifier qu'elle attendait des explications plus que convaincantes.

La confusion était présente chez Isaac qui ne pouvait s'empêcher de se demander tout ce qui s'était passé durant son sommeil. Lucy avait toujours l'air paniqué, ça, ça n'avait pas changé. Mais l'inconnue semblait faible et pâle, ce qui amenait plus de questions encore. Il ne comptait pas s'en aller sans donner d'explication, peut-être n'avait-il pas été assez clair là-dessus, car l'inconnue impose des explications mais également à ce qu'il boive une bouteille d'eau. Autre information importante : elle lui a donné son sang. Ceci explique cela, Isaac devient reconnaissant. Il pince les lèvres en prenant la bouteille d'eau pour boire, c'est vrai qu'il est assoiffé. Il ne boit pas tout d'un coup pourtant, il sait qu'il pourrait avoir mal au ventre, alors il y va tranquillement.

Et pendant ce temps, l'inconnue s'adresse à Lucy. Isaac manque de recracher sa gorgée par le nez tant elle s'était adressée à elle avec autant d'exaspération. Il s'essuie la bouche et sentant le regard insistant de l'inconnue, il visse le bouchon de sa bouteille tout en avalant sa gorgée.

Je m'appelle Isaac. On était en train de boire un verre et puis une fusillade a éclaté. On a pris la fuite mais je me suis pris une balle au passage...

Il hausse les épaules, restant vague, tandis qu'il replace son haut, pour discrètement vérifier si son arme était toujours là. Elle l'était, et c'est un soulagement pour Isaac. Il se racle ensuite la gorge pour vérifier la plaie de sa jambe. Elle est bien couverte par le bandage et elle ne semble plus saigner. Bon, son pantalon est foutu et couvert de sang, il aurait bien besoin d'une douche, mais il la prendra chez lui.

Je crois comprendre que vous m'avez généreusement donné votre sang... Je vous suis reconnaissant. Est-ce que je pourrais vous aider à mon tour, de quelque manière que ce soit ?

Avec un sourire chaleureux, il l'observe tranquillement.

Et vous, comment vous vous appelez ?

L'échange ne plaît pas forcément à Lucy qui vient se placer sans douceur près d'Isaac pour s'accrocher à son bras.

J'ai eu si peur ! Ils devaient pas être en ville aujourd'hui, comment ont-ils osé s'en prendre à toi ?! Tu vas te venger, hein ? Faut les descendre, tous, un par...

Lucy n'a pas le temps de terminer sa phrase qu'Isaac avait déjà agi : il lui restait un mouchoir de chloroforme dans sa poche, mouchoir qu'il appuie fermement contre la bouche et le nez de Lucy. Elle essaie de se débattre mais Isaac est plus fort qu'elle. Il ne lui faut que quelques secondes pour qu'elle tombe dans un sommeil profond. Il soupire alors, rangeant son mouchoir, visiblement agacé.

Désolé pour ça. Elle est insupportable, il fallait l'arrêter.

Harper écoutait ce que ce Isaac avait à lui dire. Ses explications étaient convaincantes. Ca arrivait de temps en temps. Et elle en savait quelque chose. Enfin ... Harper avait plutôt tendance à imaginer les choses étant donné que son père ne lui avait encore rien avoué sur ses réelles affaires dans cette ville. Mais elle en avait entendu suffisamment pour comprendre. L'attention de la demoiselle restait focalisée sur celui qu'elle avait fait entrer bien malgré elle. Après tout, ses explications pouvaient être vraies comme elles pouvaient être fausses. Harper devait se préparer à toute éventualité.

Il avait bien compris. Harper lui avait donné directement son sang pour ne pas perdre de temps. Et il lui disait qu'il lui serait reconnaissant. Bien. Peut-être qu'il dit vrai. Peut-être qu'il tiendra parole.

Mh ... Peut-être que j'aurai besoin de votre aide, mais plus tard.  Ouais, plus tard.

Plus tard parce que d'abord, elle voulait comprendre à qui elle avait à faire. Ensuite parce que le pauvre n'était clairement pas en état de faire quoi que ce soit. En prime, son pantalon était complètement foutu. Elle irait lui en trouver un dans sa chambre plus tard, sans aucun doute.

Harper. 

Elle n'eut pas le temps d'en dire plus quand il lui demanda son prénom que l'autre godiche vint se presser aussi près que possible d'Isaac. Et ce qu'elle venait de dire était intéressant. La version différait de celle qu'il avait donnée plus tôt. Elle aurait du se douter qu'il n'avait pas seulement pris une balle perdue. Cette dernière lui était peut-être même adressée. A un tout autre endroit, très probablement. Mais alors qu'elle n'avait pas encore terminé, il sortit un mouchoir de sa pocher et Lucy s'endormi sur le canapé.

Vous faites ça souvent, d'endormir vos petites amies ? Je dois m'inquiéter pour moi ?

Il fallait avouer que c'était vachement radical comme manière de procéder. Dans sa tête, Harper se félicitait de ne pas s'être endormie après son don du sang. Dieu seul sait ce qui aurait pu se passer !

Et puis, je crois que vous m'avez un peu menti. Il est temps que vous me disiez réellement ce qu'il s'est passé. Qui ne devait pas être en ville au juste ? Et qui est-ce qu'elle veut que vous descendiez ?

Harper restait la plus calme possible, mais au fond d'elle, il est très clair qu'elle avait peur d'y passer. Elle se leva pour tenter de prendre un peu de distance et s'éloigner de cet individu.

J'vais vous chercher un pantalon, peut-être que ça vous laissera le temps de vous souvenir de tout. Vous êtes plutôt jean ou jogging ?

Elle se dirigea vers sa chambre, attendant une réponse de sa part avant de farfouiller, de trouver ce qui lui conviendrait le mieux et de revenir écouter ce qu'il avait à lui expliquer. Comme quoi, ce n'était clairement pas en s'éloignant de la maison et de sa famille que les problèmes et tout ces trucs seraient loin d'elle !

Lucy en avait bien trop dit. Il fallait qu'il réagisse, pourtant, il savait que ça allait inquiéter Harper. Il n'était pas là pour lui faire du mal, elle venait de l'aider et il lui était redevable. Un petit somme pour Lucy ne lui ferait certainement pas de mal, et puis ils pourraient discuter plus tranquillement, maintenant. Mais voilà, Harper panique un peu en le voyant faire. Isaac secoue la tête en souriant légèrement.

Non, non. Je vous suis redevable, je ne vous ferais pas une telle chose. Mais... Elle est casse-pieds. Et elle n'a aucun filtre. Elle aurait interrompu notre conversation un milliard de fois et nous aurions fini par avoir mal à la tête.

Bien qu'il s'agissait de leur premier "date", Isaac connaissait Lucy depuis quelques temps déjà. Il connaissait également sa réputation de casse-couilles invétérée. Il avait donc pris selon lui la meilleure décision possible pour avoir cette conversation. Et puis, elle le mérite, vu la situation dans laquelle elle l'a mis.

J'aurais préféré rester vague pour ne pas vous impliquer, à vrai dire... La moindre des choses serait de vous tenir à l'écart et en sécurité pour vous remercier. Vous êtes sûre que vous souhaitez ces réponses ?

Lucy a définitivement merdé. Voilà que Harper se lève et Isaac voit très bien qu'elle veut simplement mettre de la distance entre eux. Chose assez maligne de sa part à vrai dire, bien qu'Isaac ne représente aucun risque pour elle. Il soupire cela dit, restant tranquille dans le canapé.

Un jogging fera l'affaire. Merci beaucoup, c'est vraiment très gentil.

Installé dans le canapé, il ferme les yeux quelques instants. Le calme est apaisant, maintenant que Lucy ronfle et heureusement qu'elle ne ronfle pas. Sa jambe lui lance pas mal mais il s'est accomodé à la douleur depuis bien longtemps. Ca lui fait beaucoup moins mal que ça ne ferait mal à quelqu'un d'autre qui n'a pas l'habitude d'avoir mal. Et quand elle revient, il la remercie et se relève non sans douleur, puis retire son pantalon pour enfiler le jogging.

C'est une histoire de guerre de clans. Illégal, donc. Il vaudrait mieux pour votre sécurité que vous restiez en dehors de tout ça...

Malgré le fait qu'il soit dans son clan, Isaac est sincère dans ses paroles et Harper peut facilement le deviner à son regard. Il était bien loin de vouloir se servir d'elle ou de s'en foutre de la mettre en danger. Au contraire, s'il pouvait l'aider, la protéger, il le ferait.

Isaac était plutôt particulier comme mec. Harper ne savait pas si elle pouvait s'y fier. Pour le moment, elle restait sur ses gardes. Il valait mieux faire attention et ne pas se faire avoir. Comme elle n'avait jamais vraiment parler de ... Tout ça avec son père, elle ne savait pas vraiment ce qui pouvait lui arriver, à elle. A tous les coups, il se faisait passer pour plus gentil que ce qu'il était et profiterait d'un moment de faiblesse pour la kidnapper et demander une rançon. Et il aurait ans doute raison. Le pognon sur le compte en banque de la demoiselle n'était rien comparé à la fortune sur le compte de son père. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'Harper n'avait pas mentionné son nom de famille. Parce que soit il le connaissait déjà et mettait son plan à exécution, soit il le saurait en l'entendant et en élaborerait probablement un. Inutile de s'attarder sur cette question donc.

Il venait de lui expliquer les raisons qui l'avaient poussé à l'endormir. Il aurait pu aussi lui dire de dégager. Mais elle imaginait que vu la menace qui les poursuivait, c'était la meilleure solution qui s'offrait à lui. Etrange. Plausible.

Aussi casse-pied soit-elle, admettez quand même que votre manière de faire est plutôt ... Radicale !

Pourtant, Harper devait avouer que ne plus entendre le son de la voix de cette Lucy faisait énormément de bien à ses oreilles. La panique dont elle avait fait preuve avait légèrement agacé Harper et ses petits cris d'inquiétude lui avaient cassé les oreilles. Alors, même si la pratique était douteuse, elle le remerciait quand même un peu de l'avoir débranchée un instant. Et puis il enchaina sur son histoire de sécurité. Pour être franche, elle devait bien avouer qu'à aucun moment elle se sentait en sécurité. Elle savait que tôt ou tard, quelque chose la rattraperait. Alors tandis qu'elle fouillait ses affaires pour trouver un pantalon de survêtement à lui proposer, elle lui répondit en haussant la voix pour être certaine qu'il l'entende bien.

Je ne sais pas si je devrais en avoir envie, mais ... Disons que je préfère savoir à quoi j'ai à faire ! AH BINGO !

Elle emporte le pantalon noir et détourne le regard lorsqu'il se change. Juste histoire de lui offrir un peu d'intimité. Bien qu'elle ait quand même envie de jeter un œil. Mais le moment était mal choisi. Une guerre de clans donc. Putain quelle imbécile ! Pourquoi n'avait-elle posé aucune question à son père ? Pourquoi est-ce qu'elle ne s'intéressait pas plus à ce qu'il faisait ? A ce moment précis, elle aurait sans doute les clés pour comprendre davantage la situation. Mais non, elle avait préféré lui en vouloir. Elle avait préféré s'éloigner. Elle avait préféré se voiler la face en vivant sa petite vie.

Isaac, on ne va pas y aller par quatre chemins. Je veux savoir. Peu importe dans quelle situation je me retrouve après ça. Et pour le reste, j'imagine que je ne suis pas si mal préparée que ça. Ne vous en faites pas pour moi !

Harper s'était assise sur la table de salon, juste en face d'Isaac. Peut-être qu'elle aurait du prendre plus de distances, mais elle le sentait sincère. Le piège se refermait-il sur elle ou est-ce qu'il était réglo ?

C'est vrai qu'il avait été plutôt brutal avec Lucy. L'endormir comme ça... Ce n'était pas vraiment dans ses habitudes. Mais il valait mieux ça que de la frapper à la tête et de faire davantage de dégâts, pas vrai ?

Je l'admets. Veuillez m'excuser de ma brutalité. J'aurais préféré vous épargner tout ça.

Il lui sourit de manière bienveillante avant de lui expliquer un peu ce à quoi elle s'expose. Il ne savait rien d'elle, absolument rien. Alors, il voulait la protéger. Il n'avait aucune idée qu'il faisait partie d'un certain clan. Pour lui, elle était juste une inconnue à qui il avait demandé de l'aide, inconnue à la vie parfaitement banale, sans aucun souci, honnête. Le genre de personne précieuse pour lui. Il comprend cependant son point de vue et c'est pourquoi il préfère la mettre en garde en lui donnant un peu plus de détails. Mais elle semble vouloir tout connaître, une fois qu'Isaac a passé son jogging et s'est réinstallé dans le canapé, reprenant un peu d'eau. Un petit soupir ensuite, et il se décide.

D'accord, d'accord.

Il réfléchit un moment à ses mots avant de les prononcer.

Dans cette ville, il y a trois clans majeurs dont deux très anciens qui sont en paix, mais toujours sur une corde sensible. Le clan Solera et le clan Dixon Blood. On a été en guerre pendant de très longues années mais il y a sept ans, à peu près, on a passé un accord de paix avec le maire de la ville. Il fermait les yeux sur nos activités et en échange, on ne fait pas de bazar. Mais ces derniers mois, un nouveau clan a pris sa place en ville. On les appelle les Nomades parce qu'ils ne restent jamais en place bien longtemps. Le problème, c'est qu'ils veulent du pouvoir dans cette ville... Ils ont commencé par attaquer mon clan, les Solera, pour se faire une place, mais tu te doutes bien qu'on ne s'est pas laissé faire...

C'était beaucoup d'informations d'un coup. Alors, Isaac marque un temps de pause pour la laisser digérer tout ça. Il en profite pour boire à nouveau avant de reprendre.

Mais eux non plus. Ils ont décidé de s'attaquer à moi aujourd'hui parce que je suis celui qui doit reprendre la tête du clan quand notre chef prendra sa retraite. Ils veulent taper fort... Et quand mon clan sera au courant, je doute qu'on puisse maintenir la paix encore longtemps. Parce qu'ils vont commencer à s'en prendre aux Dixon Blood. Et ça... ça me fait un peu peur.

Parler à une inconnue de cette situation lui faisait du bien. En s'enfonçant dans le fauteuil, il soupire, légèrement libéré par ces aveux. C'est comme s'il était à une séance de psy, que tout ce contexte là était normal pour tout le monde. Sauf que ce n'est pas le cas et Isaac s'en souvient assez rapidement.

Je suis désolé. Je n'aurais pas dû te parler de tout ça.

Harper écoutait attentivement les informations qu'Isaac lui donnait, mais rien de ce qu'il disait lui rappelait quoi que ce soit. Elle écoutait et c'est tout ce qu'elle pouvait faire. Récupérer les informations. Elle les recollera ensuite, quand elle sera capable de le faire. Quand elle en parlera avec son père, peut-être. A moins qu'elle parvienne a trouver certaines choses dans ses cartons. Quoi au juste ? Elle ne le sait pas. Toujours est-il que Isaac se confiait beaucoup, il avait l'air à l'aise avec Harper et elle se sentait de plus en plus détendue. Elle ne relâchait toutefois pas son attention. Elle préférait être prête au cas où quelque chose se produise et qu'il faille agir rapidement. Il semblait soulagé d'un poids. Et puis finalement, il s'excuse de lui avoir confié tout ça.

Non, c'est pas grave. C'est même plutôt ... Intéressant. Au moins, j'ai bien mieux compris pourquoi cette balle à atterri dans ta jambe. Et j'imagine qu'elle aurait du être destinée à une autre partie de ton corps. Tu l'as échappée belle ! Sois bien rassuré, je ne parlerai de ça à personne !

Harper bu une gorgée de sa bouteille d'eau avant de reprendre la conversation. Les informations se baladaient dans son cerveau à la recherche de quelque chose à quoi se rattacher. Mais rien. Pour le moment.

Et donc ... J'ai quand même quelqu'un d'important à la maison. Désolée de te recevoir dans ses conditions du coup.

Elle sourit un peu. Isaac n'avait pas du tout le comportement qu'elle aurait imaginé par rapport au statut qu'il occupait. Et elle commençait à sérieusement bien aimer sa compagnie bien qu'elle reste méfiante.

Comment va cette blessure au fait ? Parce que j'ai des anti-douleurs, s'il faut ! 

Au moins, elle trouvait ça intéressant. Et puis, elle avait l'air de comprendre. Alors, Isaac sourit, plutôt rassuré. Il ne savait pas s'il pouvait lui faire confiance finalement. Peut-être faisait-elle semblant pour récolter des informations... Il y avait toujours un doute avec ces histoires de gang. Cela avait tendance à fatiguer Isaac mais il partait toujours du principe que la personne qu'il rencontrait était innocente. Voilà pourquoi il se comportait si bien malgré tout.

Merci, c'est adorable. Sois rassurée à ton tour, je te protégerai.

Son sourire est bienveillant et sincère. Il espère lui faire moins peur maintenant, parce qu'elle l'avait sauvé après tout et que... Eh bien, il s'était un peu mal comporté avec Lucy. Mais ça fait quand même du bien de pouvoir parler sans interruption. Il rit légèrement en l'entendant.

Important, oui, mais j'aimerais vraiment que tu me considères comme quelqu'un de normal. Enfin... Il pose son regard sur Lucy, endormie, avant de revenir à Harper d'un air coupable. A peu près normal, avec des défauts mais aussi des qualités. Comme la qualité d'apprécier un silence après une dure journée ?

Il tentait de la convaincre qu'il avait bien fait de l'endormir de cette manière. De toute façon, il n'y avait pas assez de chloroforme pour qu'elle reste endormie bien longtemps. Elle n'allait pas tarder à se réveiller, ainsi, il sort son téléphone de sa poche et vérifie qu'il n'a rien.

Oh, ça va, merci. Mais je pense qu'on a besoin d'un bon repas tous les deux. On pourrait commander, si tu veux. C'est moi qui offre, je te dois bien ça pour m'avoir sauvé et me laisser rester un peu. Il se mord la lèvre avant de secouer la tête. Ou si tu préfères, je peux te laisser tranquille. Quoi qu'il en soit, je te donnerai mon numéro personnel. Le jour où tu auras besoin de quoi que ce soit, il ne faudra pas hésiter.

Isaac promettait à Harper de la protéger. C'était gentil de sa part. Et très respectable. Ce matin, elle aurait très probablement sauté de joie de savoir que quelqu'un souhaitait la protéger. Mais au vu de tout ce qu'il s'est passé en peu de temps, elle comprenait qu'elle n'était pas totalement démunie. Elle se débrouillait plutôt bien. Merci maman. Merci maman d'avoir été prévoyante. Merci maman d'avoir eu le regard assez éclairé sur la situation et d'avoir choisi d'apprendre certaines choses à ta fille. Harper ne s'était jamais rendu compte des conseils que ses proches lui avaient donné tout au long de sa vie. Et aujourd'hui, c'était comme une révélation. Le plan était en marche. Qu'elle ait déménagé ou non, son père comptait sans nul doute qu'elle reprenne les rennes de ses affaires.

Merci ! J'espère ne jamais vraiment en avoir besoin, de cette protection, mais je retiens. De ton côté, sois assuré qu'en venant ici, tu devrais y trouver un endroit sécurisé. C'est un quartier plutôt tranquille et l'immeuble aussi. Alors ... tu sais, si tu as besoin de te faire oublier un jour ou deux ...

Harper se sentait redevable qu'il lui ait donné toutes ces informations. Cela lui permettrait sans doute d'éclairer de grandes zones d'ombre. Et cette proposition n'était pas n'importe laquelle. Parce que Harper n'ouvrait pas sa porte à des personnes qu'elle connaissait à peine. Après tout, n'importe qui pourrait lui planter un couteau dans le ventre à cause d'un manque d'attention de la part de la jeune femme. Mine de rien, il y avait de grosses têtes dans cet appartement. Lui devait reprendre la tête de son clan. Elle devait reprendre les affaires de son père. Avec le côté sombre qu'elle ne connaissait pas encore réellement. Et elle ferait son maximum pour le considérer comme il lui demandait. Cependant, elle ne pouvait pas nier que ce serait compliqué. Ce n'était pas n'importe qui. Elle hocha simplement la tête pour ne pas laisser transparaitre le moindre indice dans sa voix qui pourrait lui indiquer qu'elle en sait bien plus que ce qu'elle ne lui laisse croire.

Après cette agitation et le don de sang qu'elle avait fait, elle se sentait plutôt faible. Alors quand il lui proposa de commander à manger, elle ne dit pas non.

Ca me va pour qu'on commande quelque chose. Il y a une bonne pizzéria qui livre plutôt rapidement, dans le coin. Est-ce que ça te dit ?

Harper se mordit la lèvre en entendant Isaac lui dire qu'il lui donnerait son numéro de téléphone à utiliser en cas de besoin.

D'accord, je te donnerai le miens aussi pour que tu saches au moins qui t'appelle et puis ... Si tu as besoin, apparemment je gère plutôt pas trop mal les situations d'urgence.

Harper se mit à rire. Elle avait besoin d'évacuer une pression certaine Et ce moment plus calme en tête à tête avec Isaac sans Lucy dans les pattes était plutôt reposant et des plus intéressants.

Isaac n'avait pas imaginé faire une rencontre dans ce genre aujourd'hui. A vrai dire, il avait accepté de voir Lucy pour qu'on lui lâche la grappe, un homme de pouvoir seul, ça fait un peu tâche. Il fallait qu'il trouve sa moitié pour le soulagement de tout le monde. Mais lui, il ne voulait pas se précipiter. Il voulait prendre son temps et trouver l'amour, développer une réelle relation de confiance. Alors cette fusillade, même s'il avait un peu mal, était tombée à pic pour qu'il puisse s'échapper de ce rencard dont il ne voulait pas. La proposition d'Harper lui fit chaud au coeur. Il lui sourit alors.

C'est vraiment adorable de ta part, je note ça dans un coin de ma tête. Par contre, je n'ai pas pour habitude d'arriver les mains vides alors si je viens, il faudra te préparer. Je suis du genre généreux.

Isaac lui offre un clin d'oeil complice. Ca, pour être généreux, c'est vrai qu'il l'était ! Il a les moyens de l'être et adore faire plaisir. Alors quand il offre ses services à quelqu'un comme il le fait pour Harper, il n'hésitera jamais à mettre en place tout ce qu'il faut. Pourtant, il ne sait encore rien d'elle à part son prénom. Peut-être auront-ils l'occasion de se découvrir un peu plus autour d'une bonne pizza.

Carrément ! Une bonne pizza.

Son téléphone en main, il la laisse lui indiquer le site et commande pour deux. Il n'oublie pas Lucy, bien au contraire, mais il ne veut pas la nourrir, il a un autre plan en tête. A ses derniers mots, Isaac rit.

C'est vrai ! Je ne pensais pas avoir droit à une transfusion de sang aujourd'hui. Par contre, je crois que je vais devoir me suturer. Il la regarde avec un air étrange, réticent. Est-ce que ça te dérange si j'envoie quelqu'un ici pour... m'amener du matériel et... eh bien... qu'il emporte Lucy avec lui pour la ramener chez elle ?

C'est qu'elle ne va pas tarder à se réveiller. Elle n'était pas obligée d'accepter, loin de là. Il ferait sans, si elle décidait de refuser. Mais il sentait déjà Lucy remuer un peu, signe que le réveil n'est pas loin.

Harper avait presque envie de faire confiance à Isaac. Pourtant, ils ne se connaissaient pas encore assez. Elle ne lui accordera pas encore totalement sa confiance. Pas avant de mieux le connaitre. Pas avant d'en savoir plus et d'avoir des réponses plus concrètes. Quand tout serait terminé, elle devrait se décider à en parler à son père. Pas de ce qu'Isaac lui avait confié. Non, de tout ce que son père lui cachait. Il avait beau être un homme puissant, posséder des établissements très fréquentés et tout le toutim, elle méritait de connaitre l'existence des activités plus sombres qu'il entreprenait et dans lesquelles il voulait embarquer Harper.

Autant le dire, il n'avait pas du tout le comportement cliché des meneurs de clans. Il était bien plus gentil que ce à quoi on pourrait s'imaginer lorsqu'on parle de la personne qui doit reprendre la tête de tout le groupe. C'était plutôt intéressant. Déconstruire ce cliché dans cet esprit l'aiderait peut-être par la suite, qui sait ?

La pizza fut commandée et le sujet dévia vers la suture de sa blessure. Pour Harper, dans le feu de l'action, ça n'avait pas été une priorité. Elle s'était assuré qu'il ne manque pas de sang, qu'il ne tombe pas dans un coma ou quelque chose du genre. Le pansement pouvait limiter les dégâts. Et elle s'apprêtait à dire qu'elle avait tout ce qu'il fallait pour recoudre la blessure, mais il la devança et proposa de faire rentrer Lucy chez elle. C'était bien plus que tentant. Alors ...

Non, ça ne me dérange pas. Mais je t'avoue que je préférerais ne pas être vue, si ça ne dérange pas. 

Harper marqua un temps de pause, comprenant qu'elle devrait très probablement s'exprimer plus en détail à ce sujet. Elle trouverait quoi dire. Elle trouverait de quoi le contenter sans trop en dire, peut-être. Ou bien elle jouerait la carte de la franchise, comme il l'avait fait juste avant.

Je me disais juste que ça m'attirerait sans doute moins d'ennuis ?!

Mensonge. Enfin pas totalement. Certains membres de cette ville savaient qui elle était. Croisée au détour d'un couloir dans le domaine familial. En photo sur le bureau de son père. Elle pouvait être reconnue un peu n'importe quand. Elle le savait. Par des personnes appartenant au monde de l'illégal, du moins.

Mais si tu as besoin d'aide pour recoudre ta blessure, j'suis ton homme ... Enfin la femme de la situation ! Disons que j'ai une petite formation dans ce domaine.

Sa demande est dangereuse et il le sait. Voilà pourquoi il a hésité avant de poser sa question. Il ne voulait pas lui faire prendre de risque si elle ne voulait pas mais maintenant qu'elle sait à quoi s'en tenir, il fallait qu'il pose la question. De toute façon, il n'enverrait pas n'importe qui chercher Lucy, bien au contraire. Il demanderait à son plus proche ami dans le clan pour éviter que toute cette histoire ne s'ébruite et que Harper ne soit vue. Alors, quand elle répond par la positive tout en mentionnant le fait de ne pas se montrer, Isaac hoche la tête. Elle est intelligente, même si elle essaie de se justifier, Isaac secoue la tête en souriant.

Oui, je comprends, j'irai à la porte, comme ça il ne rentrera pas et ne te verra pas non plus. Ne t'en fais pas pour ma jambe, j'ai marché avec des pires blessures.

Cela n'a rien de drôle et pourtant Isaac emet un léger rire. Il texte ensuite son ami le plus fidèle qui lui répond presqu'immédiatement. Tout allait mieux, déjà. La pizza est en route, son ami aussi - et il arrivera sûrement plus vite que la nourriture - et Lucy dormait toujours. Harper propose à nouveau ses services en tant que merveilleuse hôte. Isaac ne dit pas non, même s'il sait faire, il aime bien qu'on prenne soin de lui de temps à autres.

Franchement, je ne vais pas refuser. Mais ça va commencer à faire beaucoup sur la liste de ce que je te dois !

Cette fois-ci, son rire est bien placé. Cela dit, il la regarde, interloqué. Il demande alors, sincèrement intéressé.

Une petite formation ? Tu fais des études de médecine ?

Isaac semblait réceptif à l'idée qu'elle ne se montre pas à la porte lorsque la personne chargée de récupérer Lucy se présenterait. Et elle n'avait sans doute pas à s'expliquer davantage. Elle ne savait pas ce qui arriverait le premier entre leur pizza et la personne qu'il appellerait bien qu'elle en ait une vague idée. Et c'était pour le mieux. Plus vite Lucy serait en dehors de son appartement et plus vite elle serait soulagée de ne plus risquer de l'entendre brailler. Il est bien clair que le soutien d'Harper ne concernait que lui. Elle préférait que Lucy ne vienne jamais frapper à sa porte pour demander de l'aide. Bien que sa conscience l'empêcherait de la laisser dehors.

Harper s'était proposée pour l'aider à suturer sa blessure. Sa mère lui avait appris. Tout comme elle lui avait appris d'autres gestes pour s'en sortir en cas de problèmes majeurs. Isaac avait accepté.

On peut se faire une ardoise, si tu y tiens, mais me proposer ta protection couvre déjà pas mal de trucs que tu aurais l'impression de me devoir.

C'est vrai, il lui avait proposé sa protection et elle le savait, c'était quelque chose qui coutait cher. Et puis, le voilà qui pose une question parce qu'elle a eu le malheur de baisser sa garde un instant.

Je ... Euh ... Non ! Ma mère m'a appris quelques trucs. Elle partait du principe qu'on n'est jamais trop prudent, dans ce monde.

Harper ne mentait pas, elle restait juste succincte dans ses propos. Et alors qu'elle venait de terminer son explication, on frappa à la porte. Pizza ou Pote de clan ? Elle jeta un regard à Isaac avant de partir en direction de sa chambre. Si jamais les choses devenaient bizarres ou qu'il avait appelé du renfort pour quoi que ce soit, elle aurait la chance de trouver une fenêtre de sortie par cette pièce.

Il est vrai que la protection d'un des membres les plus importants d'un des deux clans présents en ville était déjà une offre considérable. Beaucoup qui avaient la connaissance de l'importance de ces clans pour la prospérité de la ville rêveraient de posséder cette sorte d'immunité. Harper était désormais intouchable par qui que ce soit et Isaac s'en assurerait personnellement. C'était bien le plus beau cadeau qu'un clan pouvait faire à quelqu'un, même si le reste du clan n'était pas encore au courant. Après tout, elle l'avait bien méritée.

C'est vrai, tu as raison. Mais pour moi, c'est un prêté pour un rendu. Je ne veux pas t'offrir ma protection et m'attendre à ce que tu fasses tout pour moi en échange, c'est pas possible.

Isaac était quelqu'un de droit avec beaucoup de valeurs, de principes et d'honneur, malgré le fait qu'il soit dans un clan avec des activités très peu légales. Cela faisait partie de lui, de son éducation. Jamais on ne touchera à Harper. Intéressé, il lui demande si elle fait des études de médecine mais sa réponse semble vacillante. Néanmoins, il n'a pas le temps d'approfondir que déjà, on frappe à la porte. Isaac laisse Harper se cacher, se relève dans une certaine douleur et puis prend Lucy qui semble sur le point de se réveiller. Il va donc ouvrir avec Lucy dans les bras, un bref échange se fait avant qu'il ne puisse refermer la porte. Et une fois qu'il est certain qu'ils se sont éloignés, il appelle sa sauveuse.

C'est bon, tu peux sortir, il n'y a plus personne.

Ainsi, il attend installé dans le canapé, conscient qu'elle veuille vérifier la véracité de ses paroles. Il ouvre le coffret dans lequel tout un set de suture est rangé puis il retire son bandage à la jambe. La plaie est assez conséquente pour recevoir des points, une chance qu'il ait eu l'adrénaline de retirer le corps étranger à temps.

Ah, c'est pas très beau à voir...

C'est vrai, s'attendre à ce qu'elle fasse tout ce qu'il voulait en échange de sa protection n'était pas une manière très logique d'établir leurs affaires. Mais Harper ne ferait pas tout et n'importe quoi, de toute manière. Elle ne se prosternerait pas devant lui à répondre à toutes ses attentes. Alors elle secoua la tête pour bien lui faire comprendre qu'elle ne se plierait pas à n'importe quelle volonté. C'est simplement qu'elle souhaitait aider et terminé ce qui avait été commencé.

Alors que Lucy se faisait évacuer de l'appartement d'Harper, elle se retrouvait dans sa chambre à observer quelques cartons qu'elle avait emporté avec elle. C'étaient des cartons avec plusieurs affaires auxquelles elle n'avait plus fait attention depuis longtemps. Peut-être depuis son enfance ou son adolescence. Oui, elle les avait emporté au cas où elle aurait besoin de chercher des réponses. Elle souleva le couvercle d'un carton et y jeta un coup d'œil furtif. En fait, elle se fit rappeler presque instantanément par Isaac, elle remis le couvercle en place et se rendit à nouveau dans le salon. Lucy n'était plus là et Harper inspectait les lieux de son regard pour s'assurer que personne n'était là. Il lui semblait que tout était normal. Il était temps, à présent de s'occuper de suturer sa blessure.

C'est pas beau à voir, en effet. Mais un peu plus et il n'y aurait rien eu à voir du tout parce que tu n'aurais sans doute pas su arriver à temps ici.

Harper s'empara de la boite et sorti les ustensiles qui correspondaient à la tâche. Elle le regarda un instant dans les yeux.

Attention, ça risque de faire mal !

Harper désinfecta la plaie et se dépêcha autant que possible pour recoudre la plaie. Plus vite elle irait et moins longtemps il aurait à endurer la douleur. Si la jeune femme avait tenté de limiter le contact avec lui et avec Lucy au départ, les choses avaient évolué puisqu'à présent, ses mains étaient en contact direct avec la peau de sa jambe.

Voilà, ça devrait être bon, comme ça !

Elle coupa le fil et dans la foulée, on frappa à nouveau à la porte suivi d'une voix masculine qui s'annonça pour indiquer que c'était une commande de pizza. Harper laissa Isaac pour se précipiter à la porte d'entrée qu'elle n'ouvra pas en entier afin de ne pas laisser entrevoir quoi que ce soit. Elle pris la pizza et referma aussitôt. La jeune femme ouvrit le couvercle sur la table de salon et renifla l'odeur de leur repas.

On dirait qu'on va enfin pouvoir manger un peu et se requinquer, tous les deux !

Isaac fait de son possible pour aller vite, échanger Lucy contre la boîte de suture. En refermant la porte, il voit même son allié la rendormir au chloroforme. Alors, forcément, il a un petit sourire. Si même lui ne la supporte pas, c'est qu'il y a un problème quelque part. Il se réinstalle ensuite sur le canapé, baissant le jogging pour retirer le bandage. C'est une sale blessure, qu'il a. Pourtant, il ne souffre pas, enfin, pas trop en tout cas. Disons qu'il a l'habitude d'être blessé de la sorte. En entendant la voix de Harper, il sourit en tournant la tête vers elle.

C'est vrai aussi. Merci à toi de m'avoir sauvé !

Il la laisse ensuite faire, suturer la plaie. Elle est bienveillante et le prévient, il hoche la tête et subit en silence. Bien sûr que ça pique, mais il ne le montre pas. Ca aussi, il en a l'habitude, les points de suture sont pratiquement devenu son quotidien. De les faire et de les recevoir, mais c'est si agréable qu'on prenne soin de lui pour une fois. C'est donc silencieusement qu'il la regarde faire, les yeux adoucis. Et une fois qu'elle termine, il la remercie chaleureusement tout en remettant son bandage. On frappe à la porte, cette fois, c'est le livreur. Isaac en profite pour remonter son jogging et se replacer, attendant patiemment la pizza et les boissons.

Il a commandé du soda pour lui, parce qu'il a besoin de sucre pour se sentir mieux. A l'odeur de la pizza, son ventre grogne fortement et il sourit.

Oui ! Bon appétit !

Rapidement, il soulève le carton et prend une part. Il mord dedans et puis il ferme les yeux, savourant l'explosion de saveurs dans sa bouche. Un "Mhhh" est lâché, plus lascif qu'il ne le pense. En silence, il mâche doucement, son regard se pose sur Harper qui savoure tout autant que lui ce moment.

Merci encore, Harper. Tu m'offres beaucoup de confort et de tranquillité en me laissant rester un peu.

Isaac pose sa part aux trois quarts mangée. Elle l'avait vraiment sauvé, d'une mort certaine, oui, mais aussi d'un bourdonnement de questions et de cris venant de Lucy et du reste du clan. Ainsi que d'une probable fusillade encore plus terrible que ce petit règlement de compte, à cause de la colère nourrie par cet événement. Toucher à Isaac n'était vraiment pas une bonne idée et ce dernier voulait le faire comprendre, mais par des actes réfléchis plutôt que sanguins.

Du coup, ça ne me dit pas ce que tu fais de ta vie, alors que je t'ai pratiquement déballée la mienne sur ton canapé.

Une pizza, des ventres qui réclamaient d'être nourris et une question. Une seule. La question qui pouvait peut-être faire basculer les choses. Une question à laquelle Harper devrait répondre sans trébucher. Une question qui faisait s'accélérer les battements de son cœur. Elle reposa sa part de pizza et se racla la gorge. Le malaise envahissait la jeune femme. Et Isaac marquait un point. Elle lui devait bien de l'informer sur sa vie aussi, maintenant qu'elle en connaissait un peu sur la sienne, sur ses activités. Qu'est-ce qu'elle pourrait bien lui dire ? Comment ferait-elle exactement pour rester la plus vague possible sans trop attirer son attention ?

Mh ... Par où commencer ?! Un léger soupire s'échappa de ses poumons avant de continuer. Il fallait qu'elle se lance après tout. Je ... J'ai changé de vie. Disons que certaines choses étaient presque acquises pour moi et que je me suis rendue compte que ma famille n'était pas celle que je pensais. Je suis partie. Disons que je ne me suis quand même pas trop éloigné, mais j'ai pris mes distances.

C'était pauvre comme explications. Et avant qu'il ne lui en demande plus, elle se décida à en dire plus. Elle lui devait bien ça, même s'il lui retirait sa protection.

En réalité, je fais partie d'une famille plutôt influente de cette ville. J'imagine que si je te dévoile mon nom, tu comprendras directement mais avant, j'aimerais te dire que je ne suis impliquée dans aucune des activités de ma famille. Je n'ai même pas découvert tout et je vais devoir chercher des réponses, tôt ou tard.

Harper coupait des bouts de la croute de sa pizza pour les reposer dans le carton ensuite. Il était clair qu'elle utilisait cette pauvre part en guise d'anti-stress. Elle releva son visage pour faire face à celui d'Isaac.

Je m'appelle Harper Forbes. Mon père est le propriétaire d'une boite de nuit, un casino et autres immeubles de cette ville. Mais j'imagine que tu le sais déjà ?! Il y a un mois, je passais près de son bureau, deux hommes avec des vestes en cuir sont entré dans son bureau et ont discuté avec mon père de ma mère. Elle est mort dans un règlement de compte, mais je n'ai pas compris tout ce qu'ils se racontaient. Pour être franche, je suis surtout partie parce que mon père m'a caché le motif de sa mort, en plus de me cacher ses affaires qui ne sont pas des plus clean, je pense.

En réalité, ce que Harper ne savait pas, c'est que son père faisait appel aux deux clans de la ville, il les payait pour certaines missions. il n'utilisait jamais un clan contre un autre, ne cherchait pas à mettre de l'huile sur le feu et ne souhaitait pas envenimer la situation des deux clans présents au départ. Il se rendaient mutuellement service, dans la plus grande des discrétions. Et sans doute qu'Harper en découvrirait davantage à force de creuser à la recherche d'informations.

Je suis désolée de ne rien avoir dit plus tôt. Je ... Ne savais pas si je pouvais réellement te faire confiance.

Et elle ne lui faisait toujours pas confiance. Du moins, pas entièrement. Mais il avait été franc envers elle alors elle devait l'être aussi avec lui. Tout ce qu'elle espérait, c'est que tout ça ne se retourne pas contre elle ni contre sa famille.

Enfin, elle décide d'avouer qui elle est. Enfin, elle se livre à Isaac. Il ne lui en avait pas tant demandé d'ailleurs. Et pour le moment, il écoute tout en mangeant tranquillement bien qu'il se sent curieux par moments par ses paroles. Et puis, elle dit son nom. Oh, quel con ! Comment a-t-il pu ne pas y penser ? C'était une Forbes. Une alliée de son clan et du clan adverse. Une alliée de la ville, une alliée dont le père a participé à la paix et à la prospérité de cette ville. Très professionnel, il repose sa part et prend une gorgée de son soda avant de montrer son étonnement.

La fille Forbes... Ah, qu'est-ce que je suis bête. J'aurais dû m'en douter ! qu'il prononce en riant à la fin de son histoire. Tu n'as même pas besoin de ma protection, elle t'est déjà acquise. Tout le monde en ville te respecte, toi et ta famille.

Isaac porte un sourire un peu béat, il est surpris de ne pas y avoir pensé avant, finalement. Et il se sent bête aussi. Pourtant, il apprécie le temps qu'il passe en sa compagnie. Il n'a aucun à-priori à propos de Harper. Alors voilà, il est tout de même surpris d'apprécier sa compagnie parce qu'en général, il a du mal à supporter la présence des autres s'ils ne sont pas dans son clan. Pas qu'il soit hautain ou quoi, au contraire. Mais parce qu'il fait partie d'un clan qui fait des choses illégales, justement. Parce qu'aussi droit et honnête qu'il puisse vouloir paraître, il ne le sera jamais autant qu'il le voudrait. Mais Harper, elle a eu le courage de s'éloigner de tout ça. Sa réflexion est coupée par les excuses de Harper et il secoue la tête.

Non, tu as eu raison.

Il soupire et se questionne longuement. Si elle n'avait rien dit, il ne saurait pas qu'elle voulait s'éloigner de tout ça. Il aurait donc consciemment continué à la fréquenter, parce que oui, Harper est intéressante. Mais on ne touche pas à la fille Forbes.

Je comprends mieux, maintenant. Et c'est moi qui suis désolé. Tu t'éloignes de ta famille justement à cause de ce qui m'amène chez toi et moi, je débarque et je te révèle.

Si son ami avait vu le nom sur la boîte aux lettres, sa cachette serait foutue. Pour le moment, rien sur son téléphone mais cela ne veut pas forcément dire grand chose.

Ecoute... Si tu veux vraiment t'éloigner de tout ça, je pourrais t'aider à déménager et à te garantir qu'on ne te retrouve pas. Puisque ma protection ne sert plus à rien dans cette ville, peut-être qu'elle le sera dans une autre et ainsi, je pourrais te remercier correctement de m'avoir sauvé aujourd'hui. C'est avec un regard sincère qu'il l'observe avant de rajouter. Et bien sûr, je m'assurerais de ne pas être dans ta vie pour qu'il n'y ait pas de connexion.

Il savait. Il comprenait. Il connaissait son père et sa famille. Il la respectait même. Mais le fait qu'il lui dise mot pour mot « tu n'as même pas besoin de ma protection » fit un pincement au cœur de la jeune femme. Bien qu'il poursuive en lui avouant qu'elle lui était déjà acquise, elle avait apprécié son geste de lui proposer sa protection et voilà qu'il la lui retirait, même si ce n'était pas réellement le cas. Harper ne comprenait pas réellement ce sentiment. Après tout, elle le connaissait à peine. La jeune femme aimait la présence d'Isaac. Peut-être pas de la même manière que son père. Certainement pas, en fait. Elle se sentait libérée d'un poids de lui avoir tout avoué. Elle gardait se secret depuis un moment déjà.

Isaac s'excusait d'avoir débarqué dans sa vie aussi vite qu'une balle de 9 mm fondait l'air pour s'écraser dans sa jambe. Et elle avait beau secouer la tête, il continuait de lui proposer de s'éloigner plus encore pour éviter les ennuis. Harper trouvait ça mignon. Attentionné. Généreux. Tout ce qu'elle n'aurait jamais pensé dire d'une personne d'un clan tel que le sien. Harper se décida à croquer à nouveau dans sa pizza avant de lui répondre.

Je ne peux pas partir.

Un silence envahit la pièce pendant quelques secondes. Secondes durant lesquelles elle fixait Isaac. Au même titre que lui, elle était celle qui devait reprendre le flambeau. Comme lui, elle avait des responsabilités sur les épaules. En fuyant, elle savait que tout ça la rattraperait et qu'il faudrait qu'elle confronte son père. Elle se décida alors à changer de place. Jusqu'à présent, elle était assise sur le sol, face à la table de salon et à Isaac qui se trouvait de l'autre côté. Elle s'installa juste à côté de lui, sur le canapé.

Je ne peux pas abandonner ma famille. Je ne suis sans doute pas au courant du quart des affaires de mon père, mais je suis sa fille unique. Je me suis éloignée en pensant que je pourrais mener une petite vie tranquille, mais je savais aussi que tout ça finirait par revenir rapidement dans ma vie.

Harper continua de manger sa pizza et de la savourer. C'était compliquer de prononcer ces mots tout haut. Elle n'avait jamais vraiment réalisé à quel point sa famille l'avaient conditionnée à reprendre le flambeau. Elle le réalisait aujourd'hui. Elle comprenait à quel point les fils invisibles qui l'unissaient à sa famille ne se coupaient pas.

Mais merci à toi d'avoir proposé, c'est vraiment gentil de ta part.

Et puis, comment accepter de ne plus revoir Isaac ? Non, à présent, elle avait envie de le revoir. Passer un moment en sa compagnie était agréable, elle ne pouvait pas le nier. Elle se permettait de lui faire un peu plus confiance à mesure que les minutes s'égrainaient et elle espérait déjà que d'autres rencontres se produiraient entre eux.

En règle générale, on a tendance à voir les membres d'un clan comme sanguinaires, sans aucune pitié, ni quoi que ce soit dans la cervelle. Comme s'ils étaient guidés par la seule loi de la jungle : la loi du plus fort. Ce sont des brutes dans l'imaginaire collectif, pourtant, Isaac n'a de cesse de prouver le contraire. Il n'a rien à voir de cette image tordue et romancée qu'ont créé les arts cinématographiques. Non, Isaac est élégant, avec de bonnes manières, un être humain normal doté de qualités tout autant que de défauts. Alors Isaac comprenait parfaitement qu'on puisse être réticent à son égard, ne pas avoir tendance à lui accorder sa confiance facilement. Mais pour tous ceux-là : il n'en a que faire. Il savait bien que les personnes qui voulaient le connaître lui le feraient sans à priori. Et bien qu'il ait exposé d'emblée son statut dans le clan, il avait l'impression que Harper passait au-dessus. C'était une agréable sensation, d'ailleurs.

Il lui avait proposé son aide d'une autre manière. Pourtant, elle refuse et Isaac l'observe, interrogateur. Il lui semblait que c'était la meilleure solution selon ce qu'elle disait mais il avait tort. Et lorsqu'elle vient près de lui pour s'expliquer, il l'écoute avec grande attention. Hochant la tête, Isaac reprend une part de pizza et mord dedans, laissant la dernière pour Harper. Il comprenait parfaitement son point de vue même s'il n'a jamais eu l'occasion d'être dans une situation pareille.

Merci à toi de t'être confiée comme ça. Je sais que c'est pas évident de faire confiance à quelqu'un comme moi.

Il termine sa pizza, arrosant le tout de soda. Il est content qu'elle se soit rapprochée de lui aussi bien physiquement que mentalement. Mais il lui en doit toujours une, alors une fois son repas fini et ses doigts essuyés, il s'enfonce dans le canapé tout en la regardant.

Dans tous les cas, on va être obligé de rester en contact d'une manière ou d'une autre. Je te dois beaucoup et je ne l'oublierais pas.

Avec un petit sourire, il lui offre un doux clin d'oeil. Il n'allait pas trop tarder à s'en aller, il attendait simplement de digérer un petit peu tout en espérant de ne pas la déranger de trop.

Et si tu as besoin de quoi que ce soit, tu as mon numéro. Est-ce que ça te dérange si j'attends de digérer un peu avant de partir ?