3. What am i doing here ?

Colleen avait suivi son groupe d'amis. Est-ce que c'était une bonne idée ? Sans doute pas. Mais ils ne cessaient de lui dire qu'elle avait besoin de sortir de son trou à rats et de sociabiliser un peu plutôt que de rester dans sa chambre étudiante pourrie qu'elle partageait avec une fille qu'elle croisait à peine.

Tu vois, Co' ! Elle au moins, elle sort de là, elle voit du monde et elle s'amuse !

Oui, peut-être. Mais elle était persuadée de l'avoir entendue plus d'une fois pleurer en pleine nuit. Elle n'en connaissait pas la raison et franchement, elle savait que si elle abordait le sujet avec la miss parfaite qui partage sa chambre, elle n'aurait aucune réponse. Au pire, elle ne nierait pas, mais elle lui dirait de se mêler de ses oignons et de lui foutre la paix. Alors ce soir, elle faisait un effort. Il y avait une fête dans un entrepôt abandonné non loin du campus de l'université.

C'est bon Colleen, détends-toi ! Je t'accorde une heure et si au bout d'une heure tu ne t'amusais pas, tu pourras retourner à tes livres et je ne sais quoi encore ! Promis !

Emily ne faisait jamais de promesse en l'air. Elle s'arrangeait souvent pour les tenir, d'ailleurs. Aussi difficile, soient-elles. A peine arrivées que les corps se déhanchaient au son d'une musique bien trop forte pour s'entendre. Des verres d'alcool étaient abandonnés à différents coins quand ils n'étaient pas une sorte de prolongement de la main de certains. Colleen était toujours surprise de voir à quel point les gens arrivaient à danser sans verser une seule goutte de leur breuvage au sol. Très vite, Emily la quitta pour aller chercher de quoi boire. Colleen se retrouvait seule. Mal à l'aise. Toutefois, elle traversa la foule pour se retrouver dehors, un peu à l'écart du bruit et de la foule. Il ne lui restait plus que 58 minutes avant de rentrer, elle pouvait y arriver. La jeune femme continua d'avancer à travers les corps venus se bécoter loin des regards et percuta de plein fouet une personne. Un homme. Sans l'avoir regardé directement, elle s'en était doutée.

Désolée ! Je voulais juste trouver un peu de calme. Pardon, je m'en vais, bonne soirée ...

Alors qu'elle cherchait à mettre les voiles, elle compris qu'elle n'irait pas bien loin. Du moins, pas avant d'avoir compris comment détacher sa jupe du crochet qui l'emprisonnait et rendait la situation gênante. Dans le noir, ce ne serait pas simple de se défaire de ce truc !

Ces soirées à l'entrepôt étaient plutôt cool, il fallait l'admettre. Maintenant qu'il a déménagé, Sid sait qu'il n'aura plus les mêmes amis. C'était déjà un miracle qu'il en ait eu l'année dernière au vu de... Eh bien, au vu de tout ce qui fait de lui, lui. Aujourd'hui, ça lui semble encore plus compliqué. Il part du principe qu'il restera seul tout au long de ses études. Alors, c'est seul qu'il s'est rendu à cet entrepôt. Depuis le début de l'année, il avait pu se faire quelques connaissances afin de subvenir à ses besoins illégaux. Des dealers, des mecs plus vieux que lui pour lui acheter de l'alcool et tout le toutim. Parce que c'est bien beau d'être un génie mais l'âge compte aussi, dans cette société.

A fumer son joint bien chargé dehors, ce n'est même pas le premier qu'il s'enquille mais Sid tient bien, depuis le temps qu'il s'en enquille. Ça, mélangé à de l'alcool, il reste pourtant loin d'être sobre. C'est les yeux rouges qu'il observe la fille qui vient de le heurter. Au premier regard, il pense à une personne en particulier. Mais dès qu'elle ouvre la bouche, il sait avec certitude à qui il a affaire. Colleen. Ils ne s'étaient jamais vraiment croisés, jamais vraiment parlé. Sid a juste l'habitude de mener ses petites enquêtes et à l'université, les dealers faisaient souvent partie des équipes sportives. Alors il savait qui était sa soeur jumelle tout comme il savait qui elle, elle était. Colleen, la fille perdue dans ses livres à longueur de journée. Cette fille qui veut devenir autrice, qui participe même au journal de l'université. Qui s'excuse pour tout tant elle n'est pas sociable pour un sou et qui préfère le calme. Ouais, Sid fait bien ses devoirs. C'est un petit stalker, un stalker quand même.

Son regard se baisse sur le vêtement qui semble coincé dans un crochet. Il tire sur son joint sans ressentir le besoin de le lui proposer : elle n'en prendra pas de toute manière. Lui, en revanche, il savait aussi qu'elle ne savait pas qui elle avait devant elle. Il venait d'arriver après tout et il n'était pas là depuis assez longtemps pour se construire une réputation. Ça viendra avec le temps. Et un jour, elle saura. Profitant du fait qu'elle soit coincé, il sort sa pièce préférée de sa poche. Une pièce dorée, faite sur mesure. Le côté face représente un joker qui sourit avec un air plus méchant que malicieux - mais Sid préfère dire que c'est de la malice - et le côté pile représente le même joker mais avec une larme sur la joue, sans une trace de sourire.

Pile ou face ?

C'est pas possible, je viens de l'acheter ! Alors qu'elle se démenait pour se sortir de cette situation et grommelait des phrases entre ses dents pour marquer son mécontentement, l'inconnu lui demandait si elle choisissait pile ou face. Sérieusement ? A cet instant précis, elle comprenait qu'il ne comptait probablement pas l'aider.

Eh bien pourquoi cette question au juste ? C'est pour savoir si j'ai le droit à avoir de l'aide pour me débarrasser de cette situation ?

Elle avait prononcé ces mots tout bas. Avec le son de la fête, elle espérait qu'il n'ait rien entendu et elle tentait de se défaire de ce crochet. Il ne comptait pas du tout l'aider, en fait. Bien. Elle se débrouillerait toute seule. Avec un peu de chance, elle aurait gagné quelques minutes et le moment de rentrer se rapprocherait un peu plus. Soudain, elle se retrouva éloignée de cette chose qui l'agrippait sans vouloir la laisser partir. Elle leva les bras vers le ciel avant de reporter son attention sur celui qui restait planté là, avec sa foutue pièce.

Pile ! Mais ... Pourquoi au juste ?

Elle venait peut-être de s'attirer, une nouvelle fois, des ennuis et Colleen ne savait pas à quelle sauce il comptait la bouffer. Pendant un instant, elle se sentait nerveuse. Une boule au ventre. Ses membres crispés. Ses regards observaient chaque espace pour trouver une porte de sortie à cette situation. Franchement, dans quoi elle s'embarquait encore ?

Sid s'amusait de la situation. Elle semblait agacée par le fait que sa jupe restait coincée dans ce crochet. Pourtant, il ne fait rien pour l'aider. Non, c'était trop amusant, comme situation. Et puis, elle lui demande pourquoi. Pourquoi ? Il hausse les épaules en guise de réponse. Et pourquoi pas, finalement ? Tout le monde aime jouer. Peu importe le but. Il lui semble pourtant qu'elle ne voulait pas qu'il entende cette phrase. Mais c'est trop tard de toute façon. Sid a les sens aiguisés naturellement, un peu plus encore par la drogue. Alors qu'elle prend pile, Sid coince son joint entre ses lèvres pour tirer sa pièce.

Tombant dans le creux de sa main, il envoie celle-ci sur le dos de son autre main. Puis, il retire la main qui cache la pièce. Le joker sourit si fort qu'on dirait que la malice dans ses yeux brille, comme si une étoile filante y passait.

J'ai gagné ! dit-il en finissant son joint. Il le jette ensuite, l'écrase et souffle sa fumée en l'air. Il fait un tour sur lui-même, lentement, pour observer les alentours afin de décider de son gain. C'est souriant qu'il fait désormais face à Colleen. Offre-moi un milkshake, là-bas. Sid pointe du doigt le diner en face de l'entrepôt, il n'y a pas beaucoup de clients mais connaissant Colleen, elle apprécierait davantage l'endroit plutôt que celui-ci. Allez, Colleen. J'ai gagné, tente-t-il pour la convaincre, avant de mimer une moue triste. Ou tu préfères peut-être retourner dans la sueur avec tous ces gens ?

C'est fou à quel point l'homme qui se trouvait en face d'elle n'en avait strictement rien à faire de son cas. Il était là, à lui demander si elle préférait la jouer pile ou face. Il restait posté là pendant qu'elle se démerdait pour se sortir d'une situation qui ne l'enchantait pas du tout. Au final, elle lui avait dit pile. A la fois sous le coup de la joie pour s'être décoincée et aussi pour qu'il lui lâche la grappe le plus rapidement possible. Elle avait perdu. Quelle surprise ! Pas du tout en fait. Colleen avait toujours une poisse incroyable !

Et puis il lui demandait de lui payer un milkshake dans le diner en face. Elle ne le connaissait même pas ! A tous les coups, elle partait sans rien dire à personne avec un psychopathe.

M ... Mais j'te connais même pas !

Mais il insiste et ses arguments sont quand même convaincants. Elle n'avait pas envie de se retrouver dans cette soirée, mais elle avait accepté parce que ses amis l'avaient supplié de les suivre. Alors, elle pourrait bien passer le reste de l'heure promise un peu plus loin que prévu. Colleen commença a peser le pour et le contre sans vraiment faire attention qu'il avait prononcé son prénom. Ils ne se connaissaient même pas. Il ne devrait même pas connaitre son prénom. Mais la surprise qu'elle avait eu face à sa demande ainsi que son argumentaire avaient probablement couverts son prénom prononcé dans sa bouche. La jeune femme soupira un instant avant de lui répondre.

Bon ... D'accord !

Après tout, même si c'était la pire des ordures, il y avait du monde et en toute logique, elle ne risquait rien !

C'est bon, je te paie un milkshake et puis c'est tout.

Colleen se mit alors en chemin vers le milkshake tant attendu, la boule au ventre tant elle ne faisait jamais réellement de folies. Vers quoi se dirigeait-elle réellement ? Elle n'en avait aucune réelle idée.

Peu importe qu'elle le connaisse ou non. C'était du pareil au même. Sid n'était pas vraiment un gentil garçon, mais il n'était pas méchant non plus. En fait, il a surtout des problèmes de comportement. A la manière des chats, il va offrir des cadeaux totalement démesurés, parfois horribles, en pensant que ça ferait plaisir. Les comportements humains, il ne les comprenait pas, du moins, pas tous. Il est comme un animal sauvage, un chat errant pensant bien faire, à sa manière.

Et alors ? Comment on est censé connaître des gens si on leur parle pas ?

En réalité, il peut s'offrir cent milkshakes s'il en avait envie parce qu'il en a les moyens. Mais ce qui l'enchante plus, c'est la compagnie de Colleen. Même s'il savait beaucoup d'elle, il voulait connaître son âme et pas ces informations superflues qui, certes, en disent beaucoup sur elle mais qui pouvaient changer tout au long de sa vie. Lorsqu'elle cède, Sid sourit un peu plus et lui emboîte le pas pour rejoindre le diner. Il s'installe tout au fond, à une table près du jukebox, éloigné de tous. Mais ainsi, Sid pourra voir tout le monde tout en restant invisible.

Un milkshake au chocolat, un cheeseburger, une portion de frites aussi. Et un coca.

Il rend la carte à la serveuse, il n'en a plus besoin. En attendant que Colleen commande à son tour, Sid sort un fidget toy en forme de cube de sa poche pour jouer avec, tout en faisant bouger sa jambe nerveusement alors qu'il observe les alentours.

Colleen avait peut-être de la chance de passer la soirée avec cet inconnu. Au moins, le temps défilait plus vite qu'en cherchant à s'amuser malgré elle. Parce qu'il était plus que clair qu'elle n'était pas le profil type de celle qui se bourre la gueule dans les soirées, qui fume et qui oublie tout pendant des heures avant de se réveiller dans un endroit inconnu et de se demander ce qu'elle a fait pendant les dernières heures. Non, ça c'était plutôt le genre de sa sœur. Avery avait toujours ce genre de comportement. Et Colleen était tout l'opposé. C'était déconcertant à quel point elles étaient différentes. Colleen était la fille respectueuse, clean et organisée. Celle qui ne faisait pas énormément d'écarts, qui lisait ses bouquins au pied d'un arbre quand le soleil était de sortie et qui restait des heures dans sa chambre à écrire. Peut-être qu'elle passait à côté de beaucoup de choses ? Peut-être qu'un jour, elle finirait par comprendre et ressembler davantage à sa sœur ?

Mais pour l'heure, elle se retrouvait avec lui. Et il marquait un point. Alors elle hocha la tête lorsqu'il lui indiqua que pour rencontrer quelqu'un, il fallait bien aborder de parfaits inconnus et apprendre à les connaitre. Alors elle avait cédé à sa demande. C'était rendue au Diner. Tout au fond de l'établissement. Un endroit qui lui convenait bien tant il était calme. L'étudiante inspecte la carte, même si elle est venue ici quelques fois déjà avant de passer commande.

Mh ... Pour moi, ce sera une portion de frites, un coca et un milkshake à la vanille, s'il vous plait.

Elle lança un petit sourire gêné à la serveuse en lui rendant sa carte. Et puis elle se focalisa à nouveau sur l'inconnu devant elle. Il jouait avec un objet entre ses doigts, sa jambe bougeait nerveusement, faisant presque trembler leur table et il regardait les alentours. Colleen commençait à se dire que son comportement était étrange. Mais au moins pouvait-elle se rassurer d'être dans un lieu public et d'avoir la certitude qu'en cas de problème, elle ne serait pas totalement livrée à elle-même.

Est-ce que tout va bien ?

Elle le regardait plus intensément, comme si elle cherchait à percevoir ce qui se cachait derrière ce masque qu'elle avait l'impression qu'il lui montrait.

Au fait ! Tu ne m'as toujours pas dit comment tu t'appelais.

Ils attendirent tous les deux que leur commande soit préparée et déposée sur la table. Colleen n'avait pas très faim, mais la seule évocation d'un milkshake lui avait libéré un peu de place dans son estomac. Alors, elle était impatiente de manger ses frites.

Sid n'est pas le genre de personne qu'on suivrait en lui faisant aveuglément confiance. Il avait même tendance à rebuter les autres, parfois, tant il se comportait bizarrement. Mais Colleen a décidé de le suivre, après tout, elle avait perdu au jeu de la pièce. Plongé dans ses pensées, Sid joue avec son fidget toy et puis Colleen l'extirpe de ses pensées. Sa jambe s'arrête soudainement de bouger, tout aussi bien que sa main.

Mh ? Ouais, ça roule. J'aime pas m'ennuyer. Et toi, Colleen, ça va ?

Il sourit en coin, mentionnant pour la deuxième fois le prénom qu'elle porte mais qu'elle ne lui avait jamais dit. Il savait parfaitement qu'elle tiquerait à un moment donné ou à un autre. Il était mystérieux, Sid. Et il aimait beaucoup ça. Quand elle lui demande pour savoir son prénom, il hausse les épaules de manière nonchalente.

Est-ce que ça compte vraiment ? Tu peux m'appeler avec le prénom que tu veux. On s'en fout un peu.

Il soupire ensuite en s'adossant contre la banquette, il la fixe pendant un long moment. Comme s'il cherchait à sonder son âme.

Ce qui est important, c'est ce qu'il y a là.

Il pose son doigt sur son propre coeur pour désigner son âme. Il pourrait bien s'appeler Franck, Terrence ou même Grominet, ce n'était qu'un détail. Leurs mets arrivent enfin et Sid se redresse sur son siège en se frottant les mains, attiré par l'odeur de son burger. Il se lèche même les lèvres et sans attendre, il mord dans son burger, mangeant sans vraiment faire attention. Puis, il prend une frite.

Mh, ch'est cro bon, dit-il avant d'avaler sa bouchée. J'avais la giga dalle ! Franchement, le cheeseburger, c'est la meilleure invention de tout l'univers.

Un ventre sur pattes, amoureux des cheeseburgers. Voilà ce qui se cache sous son masque. En réalité, Sid était bien plus que ça mais il ne comptait pas se dévoiler trop vite. Il cherchait seulement à enclencher un dialogue avec Colleen pour en savoir plus sur elle, sur son âme, sur ce qu'elle est. Seulement voilà, Sid le chat sauvage ne sait pas communiquer.

Assise en face de lui, elle lui accordait toute son attention. Et cette fois, aucun crochet ne venait retenir son attention en plus de sa jupe. Alors, quand il prononça son prénom pour la deuxième fois, elle se crispa. Comment ? Comment cela se faisait-il qu'il connaissait son prénom ? Elle ne le connaissait pas, elle. Soudain, elle eut une boule au ventre et une envie dévorante de s'enfuir en courant. Mais sa curiosité lui donnait envie de comprendre pourquoi il connaissait son prénom.

Tu ... Tu connais mon prénom ? Comment ?

Peut-être qu'il connaissait sa sœur et ce serait tout à fait logique. Après tout, si Avery avait mentionné le fait qu'elle avait une sœur jumelle qui s'appelait Colleen, c'était plausible qu'il la reconnaisse. Elle attendit la réponse avant qu'il lui dise que connaitre son prénom à lui n'était pas important. Mais pour Colleen, ça l'était.

Tu connais le miens alors pourquoi je ne pourrais pas connaitre le tiens ?

Colleen restait tendue. Parce qu'elle ne savait pas à qui elle avait à faire. Elle ne connaissait pas ses intentions. Et elle avait besoin de savoir. Elle avait besoin de comprendre. Et puis au moins, en connaissant son prénom, si elle venait à avoir des problèmes, elle pourrait clairement en parler aux autorités compétentes. Il fallait vraiment qu'il le lui dise.

Leurs repas arrivèrent à table et alors qu'il se jetait sur son assiette, Colleen plaça son assiette de frites bien devant elle, son milkshake à droite de son assiette et le coca à gauche. Elle aimait quand tout était à sa place. Elle pris une frite qu'elle apporta délicatement à sa bouche tandis qu'il lui parlait la bouche pleine.

Je vois bien que t'avais faim, oui !

Colleen était du genre solitaire. Elle passait du temps avec ses amis, oui. Mais elle aime tout autant passer du temps seule. Elle ne savait pas trop quoi dire ni quoi faire. Elle était un peu angoissée de se dire qu'il connaissait son prénom et peut-être plus encore.

Tu ... Tu viens souvent ici ?

C'était le cas de l'étudiante. Parce que même si c'était proche d'un lieu de fêtes, peu d'étudiants mangeaient ici. C'était plutôt calme et c'est ce que Colleen aimait. Peut-être qu'elle l'avait déjà croisé sans s'en souvenir ?

Sa jambe se remet à bouger. Ca y est, elle a percuté. Sid en savait beaucoup mais ce n'était pas que sur elle. Le problème avec lui, c'est qu'on a toujours l'impression que c'est un stalker. Qu'il est malveillant. Le seul but pour lui, c'est se faire des amis. Il n'a seulement pas les codes.

Je connais beaucoup de choses. J'ai l'habitude de faire mes recherches sur tout le monde et puis Avery est populaire à la fac. Eh, je croyais que c'était elle quand je t'ai vu en premier lieu ! Mais dès que tu t'es excusée, j'ai compris. Elle, c'est clairement pas le genre à s'excuser comme ça. J'crois qu'elle m'aurait vomi dessus après avoir ri.

Avery était le genre de fille qui savait s'amuser, peut-être un peu trop parfois. Sid savait déjà tout ça, voilà pourquoi il déblatère beaucoup. Et puis, elle marque un point. Après tout, il savait beaucoup de choses, même s'il considère que c'est superficiel, il savait beaucoup de choses. Elle avait bien le droit de connaître son prénom. Mais Sid râle tout de même un peu.

T'es pas drôle, on peut pas être mystérieux avec toi hein ! C'est toujours cool un peu de mystère. Bon, puisque tu insistes... Je m'appelle Sid. Il lui sourit alors, avant de rajouter. Enfin, peut-être...

Il ne sait pas mentir, Sid. Mais il sait jouer du doute. Il aime garder sa part de mystère. Il aime qu'on ne le connaisse pas suffisamment pour savoir quand il plaisante ou non. Mais parfois, il aimerait seulement avoir quelqu'un qui le connaisse suffisamment. Quelqu'un qui l'apprécie pour l'âme qu'il incarne dans cette vie. Voilà, c'était ça, sa misère. Leurs repas arrivent et Sid s'empresse de manger comme si cela faisait des jours qu'il n'avait rien avalé. L'effet du joint, c'est récurrent. Lui, il peut s'empiffrer autant qu'il le veut, il ne prendra pas un gramme. A sa question, il hausse à nouveau les épaules.

Ouais. Quasiment tous les soirs en fait. J'fais la fête de mon côté à l'entrepôt puis j'viens m'empiffrer ici. C'est sympa parce que y'a quasi personne. Du coup j'peux bosser tranquille de nuit.

Il enfourne une frite dans sa bouche en l'observant longuement, sans dire un mot. Et puis, ses yeux brillent.

Tiens, d'ailleurs, c'est quoi ton endroit préféré ? J'veux dire, me sors pas la bibliothèque ou un truc banal. Même si c'est que dans ta tête, c'est quoi, ton refuge ?

C'était donc logique. Il connaissait sa sœur. Il avait donc conscience que Colleen était sa jumelle. Il avait appris à faire la différence parce qu'Avery était la plus libérée des deux. La sportive que tout le monde adore. La fille qui n'a jamais froid aux yeux. Et oui, elle lui aurait probablement vomi dessus après avoir ri. Mais ce qu'il oubliait, c'était un détail important et Colleen se pressa presque de le souligner.

Et après, elle t'aurait surtout accusé toi pour avoir sali ses chaussures avec son vomi à elle !

Colleen était le portrait craché de sa mère. Responsable. Et Avery avait plutôt hérité du caractère de leur père. C'est en partie pour cette raison qu'elle avait souvent tendance à se dédouaner de tout dans une situations inconfortable et qu'elle rejetait régulièrement la faute sur les autres pour ses propres erreurs.

Mh bon, je t'accorde le fait que je sois sans doute plus connue que ce que je n'imagine ... A cause de ma sœur. Et j'imagine que d'un simple regard, ce soit parfois difficile de nous différencier.

Pourtant Colleen ne voyait toujours que ça. La différence. Leur style vestimentaire. Leur manière de se tenir. Leur manière de s'exprimer et de se comporter. Leur caractère. Elle aimait à croire qu'à elle deux, elle étaient le Yin et le Yang. Deux personnes différentes qui forment un tout. Parce que même si elles sont différentes, toutes les deux, elles sont soudées. Et donc non, elle n'était pas forcément drôle. Elle aimait savoir qui se trouvait en face d'elle. Alors elle fut rassurée quand il lui avoua son prénom. Pourtant, son peut-être remis le doute dans la tête de la demoiselle. Comment ça, peut-être ?

C'est de la triche. Tu sais comment je m'appelle. Tu sais que j'ai une sœur jumelle et tu connais son nom aussi. Tu pourrait être clair sur ton prénom, quand même !

Il s'empiffrait de ses frites et de son burger tandis que Colleen mangeait lentement et avec une douceur déconcertante. Et donc, il venait ici tous les soirs. Au moins, elle pouvait se rassurer, il ne la suivait pas partout. Elle venait ici, oui. Mais généralement pas le soir. Le soir, elle enfilait ses grosses chaussettes, son pyjama et elle lisait ou regardait des séries quand elle ne terminait pas un travail pour les cours.

Mh ... Je déteste les bibliothèques. J'aime bien lire, mais je déteste cet endroit. Il y a trop de monde et ça sent la poussière. Je vais te dire mon endroit préféré. Mais je ne te dirai pas son emplacement exacte. Peut-être qu'il le connaissait, s'il la stalkait. Il y a un coin du campus où peu d'étudiants vont. Il fait calme et il y a un arbre énorme. J'aime bien m'assoir contre le tronc et lire un livre, entendre les oiseaux chanter et me sentir presque seule au monde.

Elle continua de manger ses frites et bu une gorgée de son soda avant de reprendre.

J'viens souvent ici aussi. Un peu après le temps de midi, en fait. Il y a moins de monde et comme ça, je peux manger tranquille. Enfin ... J'fais ça quand je n'ai pas de trucs urgents à faire pour le journal.

Colleen était presque surprise de se confier à cette mystérieuse personne. Mais ça lui faisait aussi beaucoup de bien de se sentir écoutée. Ses amis la trouvaient parfois étrange et renfermée sur elle-même alors ils ne s'attardaient pas toujours sur ses histoires, convaincus qu'elles ne valaient pas les leurs.

Ah, ouais ! J'avais oublié ça !

Sid rit un peu plus avec cette petite anecdote. Avery était bien de ce genre là, oui ! Et puis, Colleen en vient à s'imaginer que s'il en sait autant sur elle, c'est à cause de sa soeur. Sauf que non, Sid connaissait tout de tout le monde qui l'entoure.

Mh... Si tu le dis.

Cependant, il n'était pas prêt à lui avouer toutes ses recherches. Son comportement de stalker, de fouine, ce n'était pas quelque chose de normal et il le savait parfaitement. Il ne voulait pas que Colleen le juge, bien que l'idée de lui faire peur l'anime tout de même un peu. Voilà pourquoi il remet en doute sa réponse à la question de son prénom. Un petit sourire apparait sur ses lèvres quand elle dit que c'est de la triche. Ca n'en était pas, puisqu'elle connaissait son prénom. Elle avait juste un petit doute, c'est tout ! Et tandis qu'il continuait à s'empiffrer, il écoute sa réponse. Elle est intéressante. Les détails qu'elle donne contentent Sid qui finit par boire une gorgée de son soda et par faire une pause dans son repas. Il l'observe silencieusement après son monologue, pendant un long moment.

Mh, je vois. Ca a l'air sympa.

Sid imagine parfaitement l'endroit dont elle parle. Il ne l'a pourtant jamais vu mais il a une imagination bien développée. Et rien que dans sa tête, il ressent ce dont elle parle. Ce calme plat, cette sérénité qu'elle détaille, rythmée par le chant des oiseaux, entre ciel et terre, seul. Il aimerait bien voir cet endroit un jour. Peut-être qu'il le cherchera plus tard.

Moi, j'ai une grotte. Et une cabane de chasseur dans la forêt.

C'était plus un cottage qu'une cabane de chasseur, mais encore une fois, il y a des choses qu'il préfère ne pas dévoiler tout de suite. S'appuyant sur le dossier de la banquette, son milkshake en main, il soupire longuement.

J'ai trop mangé, j'vais éclater. C'est quoi le truc le plus extrême que t'ai fait dans ta vie ?

Malgré tout, il continue avec ses questions. Puisqu'elle était d'humeur à se confier, autant qu'elle le fasse jusqu'au bout.

Il n'était pas méchant. Enfin, c'est ce que Colleen se disait, du moins. Il n'avait pas l'air méchant. Il était étrange, mais pas méchant. Mais peut-être que c'était une façade pour s'insinuer dans son esprit, lui faire oublier qu'elle ne pouvait pas avoir confiance aux inconnus et après, il l'emmènerait ailleurs pour elle ne sait quoi. Elle chassa rapidement un frisson qui lui parcourait le corps avant de répondre à sa question sur son endroit préféré. A vrai dire, elle aimait beaucoup celui qu'elle lui avait décrit, mais elle en aimait un autre. Il n'était juste pas à sa portée tant qu'elle se trouvait sur le campus. La maison familiale se trouvait éloignée géographiquement et par conséquent, sa ville natale aussi. Là-bas se trouve une librairie où elle aime acheter ses livres et à l'arrière de la boutique, un petit endroit en extérieur pour boire un café ou un thé. Elle aimait se retrouver là. Mais elle s'y rendait bien moins souvent, à présent.

Sid, lui avait une ... Grotte ? Une grotte. Bien. Et une cabane de chasseur. D'accord. Pourtant, Colleen restait bloquée sur cette grotte. Et bien que ce lieu l'intrigue énormément, elle se répétait en boucle que c'était à cet endroit qu'il emmenait potentiellement ses victimes pour les tuer ou faire des rituels qu'elle préférait ne pas s'imaginer. Elle s'arrêta un instant de manger ses frites pour boire une gorgée de coca. Ne pose pas de question, Colleen. Ne t'y rend simplement pas et tout ira bien !

Mh d'accord ! C'est peu commun, quand même !

Et elle n'avait pas tort. Peu de jeunes de leur tranche d'âge se retrouvaient dans une grotte en solitaire. A moins qu'il fasse partie d'une secte ? Colleen était peut être en train de la rejoindre en ce moment même ? Et sans s'en rendre compte ? Non. Arrête de te faire des films, ça ne va pas bien dans ta tête ! L'étudiante soupira et entreprit de continuer son repas tandis que Sid venait de terminer son assiette. Il avait vraiment faim ! Ce dernier continuait de la sonder et Colleen continuait de répondre. Après tout, elle ne lui donnait pas d'information si personnelle que ça. Enfin, c'est ce qu'elle pensait.

Le plus extrême ??? Eh bien ... Euh ...

Colleen n'avait aucune idée de ce qu'elle aurait déjà bien pu faire d'extrême dans sa vie. Elle respectait toujours les limites. N'enfreignait jamais les règles. Elle prit du temps pour réfléchir à cette question tout en mangeant ses dernières frites.

Mh je te le dis seulement si tu me promets de garder le secret en faisant une promesse du petit doigt !

C'était son truc, ça ! Colleen avait cette impression qu'en faisant ce genre de promesse, c'était quelque chose d'imbrisable. Quelque chose qui dure. Quelque chose de très sérieux. Pourtant cet acte faisait penser à une promesse de gamins qui ne tient pas réellement. Elle tendit son petit doigt vers lui et le regarda en attendant qu'il le prenne avec le sien. Ensuite, elle lui dirait ce qui était le plus extrême pour elle. La jeune femme espérait simplement que ça ne s'ébruite pas parce que ça ne lui ressemblait pas.

Sid a toujours été quelqu'un de particulier. Déjà enfant, il se trouvait des endroits où personne ne songeait à aller, ce qui faisait qu'il restait introuvable pendant des heures et parfois même pendant quelques jours jusqu'à ce qu'il sorte de son trou. C'était le seul moyen pour lui de s'évader de sa vie, de ses obligations en tant que génie. On ne le laissait jamais tranquille, on appuyait sur ce fait pour qu'il travaille davantage, lui qui voulait seulement vivre son enfance, voilà qu'on voulait qu'il grandisse trop vite.

Non, mais c'est ça le but ! A quoi bon avoir une cachette si c'est pour qu'on la découvre facilement ?

Il avait toujours eu l'envie de faire découvrir ce lieu si particulier à l'un de ses amis... Mais il n'en a jamais eu l'occasion. Peut-être qu'un jour, il se retrouvera à faire une chasse au trésor pour que Colleen le trouve. Peut-être, si elle devient son amie un jour. Après sa question, Sid hoche la tête et attend qu'elle réfléchisse en buvant son milkshake le plus tranquillement du monde. Le temps s'écoule et enfin, elle tend son petit doigt, réclamant une promesse. Oh. Ca, c'est quelque chose de nouveau pour Sid. Serait-ce un engagement ? Comme un enfant tout fier, il se redresse et prend son doigt avec le sien. Il plonge ensuite son regard très sérieux dans le sien.

Colleen, je te promets que je garderais le secret et que je l'emporterais dans ma tombe.

Ce n'était pas tant qu'il voulait connaître sa réponse au final. Mais l'idée de partager un secret avec elle, ça rendait le moment solennel. Et plus intime, aussi. Il se demande si c'était comme ça qu'on se faisait des amis : en partageant un secret.

Alors ?

C'est vrai, tu marques un point !

Il avait raison, une cachette n'était pas là pour être trouvée. C'était un lieu où l'on pouvait se retrouver seul avec soi-même. Un lieu paisible. Un lieu que personne ne soupçonnait. Colleen n'avait pas réellement ce genre d'endroits. Le coin de l'université où elle aimait se retrouver, plusieurs étudiants passaient  devant et l'endroit près de chez ses parents n'était pas méconnu du public non plus. Le seul endroit où personne ne pénétrait jamais, c'était sa chambre laissée vacante dans la maison familiale. Mais elle n'était pas secrète.

Très vite, les deux se retrouvent à faire une promesse du petit doigt. Pendant quelques secondes, Colleen s'était presque persuadée qu'il ne jouerait pas le jeu, qu'il la percevait comme une gamine qui a besoin de faire un pacte d'enfant pour se rassurer alors même que ce qu'elle pourrait dire serait aussi futile qu'une bouteille jetée dans une poubelle. Colleen ne faisait pas d'écarts, pas d'excès et pourtant, elle avait un moment qui lui revenait en tête, mais elle n'en avait jamais parlé à personne mis à part sa sœur à qui elle partageait tout ou presque. L'étudiante prit un moment pour s'encourager mentalement à partager ce qu'il souhaitait. Elle soupira, prit une gorgée de coca et se lança.

Eh bien ... Au lycée, j'avais un petit ami. J'pense que je sortais avec lui pour faire un peu comme tout le monde, tu sais, pour ne pas faire tache à côté de ma sœur populaire qui se tapait qui elle voulait quand elle voulait. Il était gentil et tout, vraiment, on a passé des moments extraordinaires ensemble. On a même été au bal de promo tous les deux.

Colleen tentait de repousser le moment de la révélation en parlant pour ne rien dire. Le flot de parole la faisait presque tomber à bout de souffle. Elle se racla la gorge, comprenant que ce qu'elle disait n'était pas réellement en rapport avec ce qu'elle avait promis de partager, qu'elle en disait bien beaucoup pour une fille qui se méfiait de celui en face d'elle et qu'il était temps qu'elle aille droit au but.

Bref ... Eh bien, j'étais aussi attirée par mon meilleur ami de l'époque. Disons qu'on faisait partie du même groupe d'amis et mh ... une chose en entrainant une autre ...

Colleen commençait à rougir, mal à l'aise d'avoir accepté de révéler ce qu'elle avait promis. Pourtant, une promesse est une promesse et elle l'honorerait. Elle ne faisait jamais de promesse en l'air. Et c'était bien un des rares points communs qu'elle avait avec sa jumelle.

On l'a fait à trois, dans la salle de tutorat du lycée, après les cours quand il n'y avait plus personne.

Colleen posa les yeux sur son milkshake pour éviter le regard de Sid. La sage Colleen avait un petit côté qu'elle n'exposait pas souvent. Presque jamais, même. Mais l'idée d'avoir eu deux hommes à ses pieds rien que pour elle alors même qu'elle pensait ne jamais être regardée comme pouvait l'être sa sœur, lui avait donné un grain supplémentaire pour alimenter sa confiance en elle qui n'était pas des plus développée.

Colleen s'était enfin décidé à raconter son anecdote. Sid écoute alors attentivement, visiblement intéressé. Il remarque une chose : bien qu'elle aime se sentir seule, cette anecdote concerne une autre personne. Elle était donc plus sociable que lui mais ça n'était pas un record, quelque chose de difficile à reproduire. Tout le monde était plus sociable que Sid. Parce que Sid ne se laisse pas approcher si facilement, parce qu'il est bizarre et principalement évité à cause de ça, malgré le fait que la fac soit bien différente du lycée. Il a été approché, plusieurs fois même. Mais il n'est tellement pas habitué à se faire des amis qu'ils avaient vite fui au vu de son comportement bizarre et parfois dangereux.

L'anecdote de Colleen semblait rallonger le temps tant elle en rajoutait. Nonobstant, il ne s'attendait pas à cette fin qui le fit s'étouffer avec son milkshake, provoquant une toux qui rougissait ses joues. Une aubène pour lui, au moins elle ne saurait pas que s'il rougissait déjà, c'était parce qu'il n'avait jamais rien fait de sexuel avec qui que ce soit. Qu'il n'avait même jamais eu de petite amie.

Ah ! Ca, si je m'y attendais ! Je pensais que tu étais sage, moi.

Il rit légèrement en se disant que cette anecdote serait à ajouter à son dossier sur elle. Enfin, plutôt dossier mental parce qu'il comptait bien tenir sa promesse de ne jamais rien avouer. Cela étant dit, cette anecdote était d'un extrême auquel il n'avait pas songé.

Et... Hum, c'était comment ? Je veux dire d'avoir deux personnes qui... enfin, s'occupent de toi ?

Déjà qu'une seule, c'était difficile à imaginer pour Sid mais alors deux... C'était complètement fou. Sid n'avait aucune envie de savoir les détails sensuels, il voulait surtout se renseigner par rapport aux sentiments qu'on peut ressentir quand on est entouré de la sorte. Et désormais, les rougeurs sur ses joues n'étaient plus dûes au milkshake mais bien à sa timidité, son manque d'expérience à ce sujet.

Colleen avait fini par dire son grand secret à Sid. Avec un peu de chance, elle ne le reverrait même pas et il oublierait bien vite cette histoire. Ou bien ils seraient amenés à se croiser à nouveau, à discuter et il continuerait de penser que c'est une fille qui se laisser aller à ses désirs et qui se fait passer pour quelqu'un de sage sans l'être. La vérité, c'est qu'elle était plutôt sage comme fille. C'était un écart qui ne s'était produit qu'une seule fois. Une seule fois dans la salle de tutorat, mais trois fois en tout. Après, Colleen avait arrêté tout. La relation qu'ils entretenaient tous les trois était étrange. Elle ne savait jamais vraiment comment se définir là-dedans. Elle avait stoppé net sa relation avec son petit ami et les rapprochements avec son meilleur ami également.

J'suis pas comme ça, généralement. C'est pas quelque chose que je fais souvent, tu comprends ? Ca ne s'est passé qu'une seule fois !

L'étudiante aurait préféré garder ça pour elle, à bien y réfléchir. Surtout lorsque la question de Sid arriva à ses oreilles. Elle pensait simplement lui avouer un truc extrême et puis ne plus jamais aborder le sujet, mais il souhaitait savoir comment c'était d'avoir deux personnes rien que pour elle.

Eh bien c'était bien quand on faisait ... Enfin, tu vois. Mais en dehors de ça, j'avais l'impression de ne plus respirer, que l'un et l'autre luttaient pour attirer mon attention. J'ai tout arrêté, c'était trop bizarre.

Colleen évitait le regard de Sid en plongeant le sien directement dans son milkshake. Elle préférait éviter de voir le jugement sur son visage. Toutefois, la jeune femme voyait là une opportunité de détourner la conversation vers lui plutôt que vers sa vie sexuelle.

Et toi alors ? Qu'est ce que tu as fait d'extrême dans ta vie ?

Sid ne s'attendait pas à une telle révélation de la part de Colleen. Des choses comme ça, il en avait entendu à propos de sa soeur, peut-être. Et encore, il survolait car il n'était pas assez assuré pour regarder les détails de ces histoires. Mais cette fois-ci, il ne pouvait pas les survoler, les détails. Colleen lui donnait tout ce qu'elle avait besoin de sortir et Sid finit par secouer la tête quand elle se justifie.

Non mais ça va, j'te juge pas. Pis t'as pas à avoir honte, c'est ta vie après tout.

Sid pouvait se montrer mature dans ses pensées et cela surprenait toujours. Enfin, c'était aussi surprenant que lassant, car il n'y avait plus de place à son côté enfantin, puisqu'on attendait toujours de lui qu'il soit un véritable adulte en avance. Il ose quand même poser une certaine question qu'il n'aurait pas posé à qui que ce soit d'autre. Et la réponse le déçoit un peu. Il ne le montre pas, évidemment, il écoute sans jugement aucun mais il s'était tout de même fait une idée un peu romantique de cette expérience, qui n'est pas la sienne, finalement.

Ah, je vois. Bah, t'as bien fait si ça te convenait pas.

Il boit sa dernière gorgée de milkshake tout en froissant le papier du burger dans sa main, en boule. Il réfléchit rapidement à sa question, essayant de peser toutes ses expériences mais en sachant très bien celle dont il devait parler.

J'ai fabriqué une bombe que j'ai fait péter dans un entrepôt avec des vieux trucs que je voulais plus avoir, dit-il alors en haussant les épaules, comme s'il s'agissait d'une activité normale. C'était marrant ! Puis ça m'a délivré, quelque part, de détruire des objets du passé. Il relève les yeux sur elle, la regardant manger lentement. Ah ! Et j'ai aussi sauté à l'élastique. Oui, sans l'élastique, mais ça, tu le dis pas, hein ? qu'il pense avant de changer rapidement de sujet pour ne pas s'étendre. T'en mets du temps, pour manger ! Si ça continue, on aura pas le temps de voir les lucioles !

L'étudiante changeait rapidement de sujet pour éviter que Sid se concentre trop longtemps sur sa vie sexuelle. En fait, elle était gênée de ce qu'elle avait fait. Pourtant, elle savait qu'elle était loin d'être la seule a avoir vécu ce genre de relation. Mais en son fort intérieur, elle avait peur que d'autres la juge comme étant une fille facile, chose qu'elle n'était absolument pas. Elle avait fait une expérience, c'est tout. Elle avait cédé à son désir et les deux hommes en avaient fait autant. Celui qui se trouve juste en face d'elle ne semble pas la juger et ça la rassure énormément.

Quand elle lui retourne la question, il lui fait des confessions et Colleen en est tellement surprise qu'elle fait même une petite pause dans son repas. Il fabriquait des bombes ? Sérieusement ? Mais qu'est-ce qu'elle faisait là ? Elle espérait de tout cœur ne pas être tombée sur un psychopathe. Cette idée lui revenait à l'esprit alors qu'elle continuait à manger son repas tout en ayant du mal à déglutir.

Une bombe ? C'est ... Quelque chose que tu fais souvent ? Harper s'arrête quelques secondes pour boire son soda avant de reprendre. Tu sais, tu aurais simplement pu te débarrasser de tout ce que tu ne voulais plus à la déchèterie !

Il lui indiquait aussi avoir sauté à l'élastique juste avant de lui dire qu'elle mangeait lentement. Colleen fronça les sourcils. C'est lui qui mangeait trop rapidement, d'abord !

C'était comment, ce saut ? La jeune femme laisse quelques frites sur le bord de son assiette pour se concentrer sur son milkshake. Ouais, je mange lentement, mais admets que toi, tu manges trop vite ! Et puis, c'est quoi cette histoire de lucioles ?

Colleen commençait à avoir un mauvais pressentiment. Elle avait l'impression qu'il souhaitait l'emmener à l'écart des regards, dans un endroit où il pourrait faire ce qu'il veut d'elle. Est-ce qu'elle se laisserait quand même embarquer ? Peut-être bien ...

Ouais, j'fais des études de chimie. J'voudrais bosser sur la fabrication des feux d'artifices mais mes parents préfèrent que j'aille dans un labo alors...

Il hausse les épaules. Ce cursus l'aidait dans la quête de son travail parfait, à savoir artificier, mais il n'était pas suffisamment au contact des poudres et explosifs qu'il aimait tant, à son grand dam. Et à sa proposition à la déchetterie, Sid roule des yeux et rit légèrement.

Ouais, mais c'est trop commun et beaucoup moins amusant. Il sourit et envoyant l'inquiétude dans son regard, il rajoute : T'inquiète, j'suis pas un taré. Je respecte toutes les procédures de sécurité.

Enfin, quand il disait qu'il n'était pas un taré, il voulait simplement dire qu'il ne portait jamais atteinte aux créatures vivantes, quelles qu'elles soient. Il cachait en son coeur une sensibilité qu'il dissimulait dans un instinct de survie sûr. Puisqu'il était bizarre et que personne ne voulait l'approcher, il avait appris à camoufler ses émotions quand il avait ressenti ce sentiment de rejet au quotidien. Et si Colleen décidait de ne plus lui donner de nouvelles, il en souffrirait probablement plus que de raison.

Mortel. Enfin presque. Il pique alors une frite dans son assiette avant de terminer son soda à son tour. Il y a un grand arbre sur la colline à côté de l'entrepôt. Personne n'y va jamais mais il est infesté de lucioles. Je sais pas pourquoi elles sont là. Mais elles sont là et j'adore aller les voir avant qu'elles ne disparaissent.

Il assumait qu'elle voudrait les voir sans même lui demander son avis. Après tout, ça restait un lieu magique, unique en son genre et peut-être qu'elle l'aimera autant que lui.

Colleen pouvait ressentir la difficulté de ne pas avoir de réel vrai soutien de ses parents. En fait, elle ne pouvait que l'imaginer. Elle avait la chance d'avoir des parents compréhensifs et qui laissaient leurs filles réaliser leurs envies et leurs rêves. C'était difficile pour l'étudiante de concevoir que Sid ne pouvait pas vraiment faire ce qu'il préférait.

C'est nul que tes parents essaient de te freiner dans tes rêves, comme ça !

Sid finit par rassurer la jeune femme en lui disant qu'il respecte les règles de sécurité, qu'il n'est pas taré. Peut-être. En fait, c'étaient simplement des mots, tout ça. Elle découvrirait ça à force de le fréquenter. Enfin ... Si elle se laissait entrainer dans ses histoires de lucioles. Il lui décrivit d'ailleurs le lieux et elle avait une grande envie de voir ce que ça pouvait donner. Mais alors qu'elle s'apprêtait à lui répondre qu'elle irait peut-être les voir avec lui, elle reçut un message sur son téléphone. Emily. Son amie qui l'avait accompagnée à la soirée.

Hey Colleen, me dis pas que t'es déjà rentrée chez toi et que t'as pas tenu ta parole de rester une heure à la soirée avant de filer ?!

Colleen soupire. Elle avait vraiment l'intention de respecter sa parole. Mais elle avait été tentée par autre chose. Elle avait préféré partir manger une assiette de frites accompagnée d'un coca et d'un milkshake en compagnie d'un parfait inconnu. Ses amis seraient peut-être satisfaits de savoir qu'elle n'était pas rentrée, mais qu'elle discutait loin du bruit.

C'est bon, j'suis pas loin. J'ai été prendre l'air ! Mais l'heure est passée et c'est bon, vous pouvez vous amuser sans penser à moi !

La jeune femme posa son téléphone sur la table avant de plonger son regard dans celui de Sid.

OK, t'as gagné, je t'accompagne voir ces lucioles ! J'ai la permission de minuit, normalement !